SANS TÉMOIN

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 346
du 19 novembre 2012

SANS TÉMOIN tiré de la pièce de S. Prokofieva. Mise en scène Habib Naghmouchin avec Cécile Lehn et Rodolphe Poulain.
Une femme est nichée en cocon serein dans son fauteuil au halo de la lampe. Un air de Glück, une pomme, une tasse de thé. Que vient-il chercher, cet homme qui fait irruption dans sa solitude ? Il a la clef, il entre à la volée et rompt cet équilibre avec ses questions envahissantes, sa jalousie patente, ses chantages. Il l'a quittée pour une femme belle et jeune qui lui a octroyé un statut grâce à son père, et lui a donné une fille, si douée, si musicienne. Pas comme ce fils qu'ils ont en commun, adolescent difficile en manque manifeste de son père. Par lumières alternées, chacun commente le passé et le présent. Elle s'est cicatrisée des divers abandons, de cet amour, de sa propre carrière, dans une patiente reconstruction sans acrimonie. Il clame trop fort le bonheur actuel du père et de l'époux comblé, son mépris méfiant à l'encontre de la compagne désertée. Petit à petit, l'ivresse aidant, cette belle carapace se fissure et se font jour les petites vilénies, l'ambition dévorante, l'insatisfaisante réussite. Le chantage sur l'amant et le fils est à l'avenant de cette frustration qui explose en violence verbale et physique. Que d'amour et de haine recuits, que de solitude et surtout d'appétit de vivre éteint ! Dans une lenteur presque atone zébrée d'éclairs de pure passion, il dira, en sanglots de poivrot qui se dégrise, les fausses réussites et les vrais échecs, sa nostalgie de leur amour enfui. Elle le consolera avec une tendresse apaisée. Nul retour factice, et la lettre d'amour s'éclairera enfin…
Cécile Lehn et Rodolphe Poulain sont en totale complicité dans le huis-clos de l'amour piétiné. Et l'ombre ambiguë du fils, scandée par les musiques de sa chambre, plane sur ce duo-duel vengeur et tendre, jaloux et compatissant. On s'étire à la fin, délicatement triste, comme dans une aurore de Tchékhov. Théâtre de la Boutonnière 11e. A.D.

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