
SACCO ET VANZETTI
Article
publié dans la Lettre n° 346
du
19 novembre 2012
SACCO ET VANZETTI d’Alain Guyard.
Mise en scène François Bourcier avec Jacques Dau et Jean-Marc Catella.
Absurde, oui, le monde est absurde, Nicola Sacco, à quelques instants
de ta fin. Absurde, cette gabegie d’électricité pour l’efficacité
de la mise à mort. Absurde, la leçon d’exécution parfaite, avec
le cortège du médecin, du coiffeur, du tailleur, de l’ingénieur
électricien. C’est qu’il se doit de mourir en pleine santé, Nicola,
c’est qu’il faut qu’il soit beau cet acte de barbarie qu’ils ont
attendu sept longues années, Sacco et Vanzetti, au terme d’un procès
d’opérette macabre! Sacco guette sa fin dans les grincements de
la prison et la solitude en clair-obscur des barreaux de sa cellule,
dans l’angoisse et l’insupportable nostalgie de sa femme et de ses
enfants. Alors, au cœur de sa douleur, il se laisse submerger par
les souvenirs, de sa jeunesse italienne, de son amitié indéfectible
avec Bartolomeo Vanzetti, compagnon d’exil, de misère et de lutte.
Alternativement, dans l’hallucination de sa mémoire affolée, se
rejouent les scènes de la vie intime, des luttes ouvrières, des
procès scandaleusement relancés, dans la honte de cette farce truquée,
avec immondes policiers, témoins subornés et terrifiés, gouverneur
cynique, fausses accusations, juge hystérique. Nicola le tendre,
le doux, le simple cordonnier, et Bart le solide, celui qui fréquente
les livres, qui défie les puissants, celui aussi qui réconforte
l’ami chancelant, ranime le sourire, apprend à se tenir debout,
droit et digne jusqu’au dernier souffle.
De quoi sont-ils définitivement et universellement coupables, envers
et contre tous les bourreaux iniques, malgré toutes les sympathies
cosmopolites dont le défilé cinématographique en fond de scène donne
la mesure ? L’Amérique des riches et des Irlandais vindicatifs pouvait-elle
leur pardonner d’être amoureux de la liberté et de la justice et
de puiser dans l’anarchie les sources de leur fraternité en actes,
d’être des petits et sans grade en porte-à-faux du profit indécent,
à la veille de la crise, d’être des Italiens immigrés dans une société
raciste de protectionnistes en mal d’identité ?
Quelques chaises dans un agencement constamment remodelé, un immense
drap blanc pour les ombres chinoises, quelques ampoules de chiche
lueur, des oripeaux variés qui donnent vie momentanée aux personnages
évoqués. La sobriété si efficace de la mise en scène offre un écrin
à sa mesure au duo Dau-Catella, bouleversants d’émotion et de force
persuasive, dans le rire grinçant comme dans la tendresse complice.
Le spectacle est non seulement admirable, mais d’une utilité si
pertinente en nos temps de remous et de grondements. O bella
ciao, ciao, morto per la liberta… Petit Hébertot 17e. A.D.
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