RUY BLAS

Article publié dans la Lettre n° 194


RUY BLAS de Victor Hugo. Mise en scène Brigitte Jaques-Wajeman. Scénographie et costumes Ezio Toffolutti avec 27 comédiens dont Dominique Constanza, Catherine Ferran, Michel Robin, Jean-Baptiste Malartre, Eric Ruf, Christian Blanc, Denis Podalydès, Malik Faraoun, Jacques Poix-Terrier, Laurent Stocker, Rachida Bakni.
A la suite d’un différend avec Doña Maria de Neubourg, reine d’Espagne, Don Salluste, ministre puissant, vient de tomber en disgrâce. Pour lui, ce déshonneur, il le doit à la reine dont il est décidé à se venger. Il requiert tout d’abord la complicité de son cousin, Don César de Bazan, mais essuyant un refus, il porte alors son choix sur l’un de ses valets, Ruy Blas, qu’il décide de faire passer pour Don César afin de l’utiliser comme instrument de sa vengeance. Pour Ruy Blas, amoureux de la reine, celle-ci demeurait jusqu’à ce jour inaccessible. Une fois introduit à la cour, sa passion gagne peu à peu la souveraine qui, négligée par le roi, tombe dans le piège tendu par Don Salluste. Cependant, commence pour le jeune homme amoureux, une foudroyante ascension politique.
Ruy Blas, créé en 1838, est l’un des derniers grands drames de Victor Hugo. Il a organisé son oeuvre autour d’une intrigue invraisemblable, l’amour d’un serviteur et d’une reine, et autour de tous les sentiments éprouvés par les personnages, même secondaires. C’est ce qui en fait une oeuvre véritablement romantique. Un laquais transformé en homme politique, une reine dont le coeur s’affole comme celui d’une midinette à la vue d’un bouquet de fleurs laissé à son intention sur un banc par un inconnu. On accepte ce conte de fée devenu réalité, parce que c’est ici que l’on perçoit dans toute son ampleur l’effondrement de la monarchie espagnole. Le désir de vengeance de Don Salluste le transporte à la fois dans la crainte de l’échec et la jubilation de la réussite. La passion de Ruy Blas pour sa souveraine l’oblige à dépasser ses propres limites. Il passe sans transition des transes de la naissance d’une passion partagée à la griserie de son ascension politique, puis du drame d’être découvert à une seule issue, l’autodestruction. Il a ressenti tous les tourments des sentiments comme la reine qui, seule, triste, délaissée, prisonnière d’une étiquette écrasante, découvre qu’elle est aimée pour elle-même.
Ce drame romantique, exacerbé par la passion des sentiments, Victor Hugo l’a enfermé dans une angoisse progressive. Les personnages liés par le destin sont peu à peu pris dans les fils d’une toile d’araignée dont ils ne peuvent se défaire. Pièges, chausse-trapes, l’auteur place ses pions avec une logique au mécanisme implacable jusqu’à l’issue fatale. Tout est réglé, pensé jusque dans les moindres détails car, pour lui, tout revêt une importance extrême, l’atmosphère étouffante de la cour d’Espagne au XVIIe, les décors et les costumes inspirés des tableaux de Velàzquez, que doivent rendre la mise en scène et la scénographie. Cet univers clos et son habillage sont remarquablement restitués par Brigitte Jaques-Wajeman et Ezio Toffolutti. C’est avec une adresse exceptionnelle et sans aucune afféterie qu’ils mettent en scène et décorent cette réflexion sur le pouvoir et la manipulation, mettant en relief, par le seul recours à la simplicité, les vers admirables par leur variété lyrique, épique ou dramatique, selon l’instant, et où Hugo privilégie le dialogue incisif à la tirade ennuyeuse. Il faut relever la prestation de tous les comédiens qui, tous sans exception, trouvent ici un rôle à la mesure de leur immense talent et saluer tout particulièrement le travail d’Eric Ruf et de Rachida Brakni qui, trois heures durant, et grâce à une fin particulièrement sublime, offrent au public suspendu à leurs lèvres, une émotion rare. Comédie Française 1er. Lien: www.comedie-francaise.fr.


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