«
ROSMERSHOLM » et
« UNE MAISON DE POUPEE »
Article
publié dans la
Lettre n°306
« ROSMERSHOLM » et «
UNE MAISON DE POUPÉE » d'Ibsen. Mise en scène Stéphane
Braunschweig avec Christophe Brault, Claude Duparfait, Maud Le Grevellec,
Annie Mercier, Marc Susini, Jean-Marc Winling et Bénédicte Cerutti,
Eric Caruso, Philippe Girard, Annie Mercier, Thierry Paret, Chloé
Rejon.
Ils se parlent de joie et de vie à vivre enfin. Mais,
à Rosmersholm, où on ne sourit jamais, les chevaux blancs
sont souvenirs hantés, les murs vous guettent de leurs austères
portraits. Survient l'affrontement d'idéaux politiques, entre conservatisme
intransigeant et progressisme difficile à divulguer, surtout dans
la bouche d'un pasteur en perte de foi. Ce défi idéologique occasionne
la résurgence d'histoires pas claires, dévoilées en filigrane par
la servante bavarde. Le pasteur Rosmer, veuf de Beate, s'accroche
à l'idée qu'il vit avec l'énigmatique amie Rebekka une complicité
désincarnée. Rebekka, lumineuse et indépendante, dont on mesure
la part d'ombre quand Rosmer, enfin lucide, lui propose le mariage.
L'univers d'Ibsen est plombé par une multiple culpabilité, celle
de la religion coercitive, celle de la mort inavouable de Beate
entachée de malaise mental, celle d'une faute que l'on pressent
sans la nommer avant l'aveu final de Rebekka. Et ce qui devrait
être l'ultime libération par la confession du crime, par la rupture
proclamée des chaînes d'une foi perdue, par l'accueil du désir amoureux
patent, devient le procès de l'énergie stérilisée dans l'atmosphère
délétère de Rosmersholm. Les acteurs témoignent efficacement des
tortures intimes et de la libération interdite des aveux. Le décor
est à l'aune de l'obscurcissement graduel de cette pièce qui, de
la blancheur initiale des brassées de fleurs, s'achemine vers l'obscurité
sans rédemption de la porte ouverte sur la nuit et le départ des
amants vers la passerelle de l'ultime danger.
Stéphane Braunschweig a choisi de mettre en scène en dialogue Rosmersholm
et Maison de Poupée. Choix judicieux qui place en miroir
deux figures de femmes, l'énigmatique Rebekka de Rosmersholm
et la joyeuse Nora de Maison de Poupée, qui s'avèrent inversement
proportionnelles dans leur parcours respectif. Nora clame indécemment
à son amie retrouvée, Madame Linde, son bonheur dans la fête anticipée
de Noël. Le secret presque enterré qu'elle lui confie ne vient pas
entacher sa joie de jeune femme épanouie, aussi câlinement joueuse
avec son époux qu'avec ses enfants. Survient le passé en la personne
de l'avocat douteux qui la plonge dans les affres de l'angoisse
pour un acte commis par amour pour les deux hommes de sa vie, dont
elle refuse la gravité. Seulement coupable d'avoir voulu préserver
les derniers moments du père et sauver la vie de son héros de mari,
dont elle attend qu'il la soutienne. Un héros, Torvald ? certes
non, et la déception de Nora sera à la mesure de ses illusions.
Le décillement final, sur fond de mort de l'ami médecin, sera aussi
la libération douloureuse de Nora, après la tentation du suicide.
Le décor se vide et s'assombrit, au fur et à mesure que Nora s'épure
de sa cécité. Si la Rebekka de Rosmersholm, apparemment libérée,
ne pouvait trouver la rédemption de son amour que dans la mort,
Nora puisera la force d'une liberté lucide dans le départ loin des
siens, percevant enfin combien chimérique était son amour. Le mensonge,
au cœur de leurs passés, se dénoue en les amenant l'une comme l'autre,
à leur affranchissement. Si les autres restent identiques à eux-mêmes,
la difficulté tient à la subtile mutation de ces rôles féminins.
Maud Le Grevellec-Rebekka incarne une énergie qui s'étiole insidieusement,
Chloé Réjon porte les sautillements quasi hystériques de Nora jusqu'à
la maturité surprenante d'une grave liberté. Théâtre de la Colline
20e. A.D.
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