ROMÉO ET JULIETTE

Article publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n° 320
du 27 décembre 2010


ROMÉO ET JULIETTE de William Shakespeare. Traduction Blandine Pelissier. Mise en scène Magali Léris avec Grégoire Baujat, Eddie Chignara, Stéphane Comby, Christophe d'Esposti, Benjamin Egner, Clovis Fouin, Marc Lamigeon, Fanny Paliard, Christophe Reymond, Aude Thirion, Cassandre Vittu de Kerraoul.
Deux clans, une vendetta, l'amour impromptu de deux adolescents qui remet en cause une haine immémoriale dont les fauteurs actuels ignorent tout de la cause première. Le thème est universel, intemporel. Shakespeare en fait l'objet sans surprise d'une de ses tragédies les plus connues. Sans surprise ? Sauf à considérer que la diversité des tonalités va donner à ce drame de la passion impossible et de l'inacceptable douleur une palette dont les couleurs courent de la farce triviale jusqu'au sombre de la parole de mort. Détestation hurlée par les mâles combatifs des clans, roucoulement émerveillé des adolescents en découverte de premier amour, grivoiserie à peine voilée des adultes autour de l'oiselle convoitée, hargne dépitée des parents privés de l'hypocrite respectabilité de leur marchandage matrimonial par la loyauté amoureuse de leur fille.
On croyait tout connaître de cette tragédie, entre émois romantiques et douleur mortelle. On découvre avec bonheur un Shakespeare revisité à l'aune du goût de la farce propre à son époque. Valet bouffon, nourrice avantageuse, épouse lascive, compagnon ironique confèrent à cette mise en scène un tempo sans alanguissement, de l'hystérie du combat initial en crescendo vers le silence impressionnant de la mort des amants. Capulet se dit père attendri, il se révèle tyran domestique. Son épouse, plus préoccupée de séductions diverses que de dignité maternelle, a hâte de voir casée la rivale qui se profile. Le très jeune âge de Roméo et de Juliette les porte à l'attente fébrile de l'amour, au besoin d'être amoureux. Adolescents aux corps travaillés de désirs informulés et de violences incoercibles, dans l'amour comme dans le combat. Roméo se départit à l'instant d'une précédente passion, qui le rendait anorexique et languide, pour Juliette, très jeune demoiselle fantasque et capricieuse que le premier baiser du premier venu abîme dans l'inexorable. Tous deux sont dépassés par un flux qui, dans leur jusqu'au-boutisme immature, les entraînera à l'anéantissement, même si Juliette puise dans cette brève expérience d'épousée une profondeur impressionnante. Au centre de ce déchaînement général, se détache la belle figure de Frère Laurent, digne et sensé, loyal et sincère en contrepoint à la fièvre hypocrite ou belliqueuse. Tous les acteurs sont remarquables, portés par une disposition scénique qui les pousse à la souplesse et à l'acrobatie. Les praticables en échafaudages et tubulures dépouillent l'espace des deux demeures accolées et ennemies d'un décor qui en gauchirait l'immédiate l'efficacité. Les escaliers enchevêtrés permettent le mouvement incessant, le discours amoureux s'élève, avec le regard des spectateurs, vers les sommets de la naïveté adolescente tout en le préservant d'une trop mièvre sensiblerie, alors que la trivialité, la mesquinerie, la virulence des affrontements restent à fleur de sol, et la hauteur des lieux autorise le vertige d'une jeunesse vouée à la mort.
La tragédie de Shakespeare, en faisant ainsi peau neuve, retrouve la verdeur historique de ses origines, tout en prouvant, si besoin était, la pérennité séculaire de son succès. L'enthousiasme du public conquis en fait foi. Bravo. Théâtre des Quartiers d'Ivry 94. A.D.


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