ROMÉO ET JULIETTE

Article publié dans la Lettre n° 391
du 18 janvier 2016


ROMÉO ET JULIETTE de William Shakespeare. Version scénique d’après la traduction de François-Victor Hugo. Mise en scène Éric Ruf avec 20 comédiens dont Claude Mathieu, Michel Favory, Christian Blanc, Christian Gonon, Serge Bagdassarian, Bakary Sangaré, Pierre Louis-Calixte, Suliane Brahim, Jérémy Lopez, Danièle Lebrun, Elliot Jenicot, Nâzim Boudjenah ou Laurent Lafitte, Didier Sandre.
Depuis la publication de la pièce en 1597, Roméo et Juliette furent considérés le plus souvent comme des personnages romantiques à peine sortis de l’enfance, victimes innocentes d’une haine familiale ancestrale, aux raisons depuis longtemps oubliées, dont la passion contrariée s’achève en drame. Éric Ruf a souhaité balayer cette stigmatisation et revenir à l’essence même de l’œuvre. La traduction en prose de 1868 de François-Victor Hugo, la première à être considérée comme véritablement fidèle au texte, s’y prête. Elle souligne les haines, les passions et la succession rapide des actes, plaçant au second plan un romantisme généralement accentué.
La version scénique et la mise en scène prennent toutefois quelques libertés de langage aux accents très actuels, révélateurs d’un désir et non d’un véritable amour, comme l’oxymore « Elle est salement belle » lorsque Roméo crie son désespoir de n’être point aimé de Rosaline. Le père Laurent résume fort bien, plus avant, le dépit amoureux dont souffrait Roméo avant de connaître Juliette : « Ah, l’amour des jeunes gens n’est pas vraiment dans le cœur, il n’est que dans les yeux ». Un regard posé sur Juliette et le souvenir d’avoir aimé Rosaline s’efface. Le comportement sage de la jeune fille faisant languir son amoureux n’a pas sa place dans la passion soudaine éprouvée par les deux jeunes gens, leur mariage secret suivi de sa consommation : le simple aveu de Juliette, alors qu’elle se croit seule la nuit dans la célèbre scène du balcon, décide de tout. Après un dernier scrupule : « En vérité, beau Montaigu, je suis trop éprise, et tu pourrais croire ma conduite légère », elle se rend. On aime vite, on consomme encore plus vite.
Ces quelques apports linguistiques et la mise en situation des personnages, entre distinction et vulgarité, concourent à relever le goût, si cher à l’auteur, de mêler le sublime au trivial. Le beau monologue de Mercutio sur la Reine Mab, la reine des songes, pendant que Roméo roule négligemment une cigarette en est un exemple, ou cet autre, charmant, lorsque Juliette se love dans les bras d’un père aimant qui contraste violemment, quelques secondes plus tard, avec la brutalité alliée au langage ordurier du même père, dépassé de fureur, face à la résistance de sa fille. Il est vrai que: « Dégage roulure… la paix, stupide radoteuse, va paître où tu veux mais pas chez moi » parle mieux à l’oreille contemporaine que « Au diable, petite bagasse ! misérable révoltée ! » ! Murs citadins savamment érodés par l’outrage des ans, loin des fastes de Vérone, corniche dangereusement glissante à la place du balcon, ces décors et les costumes d’entre-deux-guerres confèrent également à la représentation une tonalité résolument moderne.
Fêtes joyeuses et rixes tragiques, petits arrangements avec l’église, convenances et inconvenances, la mise en scène d’Éric Ruf et le jeu des vingt comédiens les restituent parfaitement tout en portant un regard neuf sur le drame shakespearien. La représentation s’achève en apothéose, dans une crypte où les morts, debout, sont les témoins impuissants de la sottise des vivants. Comédie Française 1er.

Retour à l'index des pièces de théâtre

Nota: pour revenir à « Spectacles Sélection » utiliser la flèche « retour » de votre navigateur