ROAD
TO MECCA
Article
publié dans la Lettre n° 284
ROAD TO MECCA d’Athol Fugard. Mise
en scène Habib Naghmouchin avec Geneviève Mnich, Cécile Lehn, Eric
Prigent.
Elsa arrive en trombe dans ce petit village d’Afrique du sud, perdu
en plein bush. Dix heures de voyage depuis le Cap pour venir voir
son amie Helen qui lui a adressé une lettre inquiétante. Sur le
chemin, elle a invité à monter dans sa voiture une jeune noire et
son bébé, celle-ci chassée de la propriété où travaillait son mari
qui vient de mourir. Helen et Elsa sont amies depuis cinq ans, depuisl'instant
où Elsa a franchi la porte du jardin et a regardé les statues créées
par Helen. « Je n’ai jamais été aussi fière de moi que ce jour-là
» rappelle-t-elle à Elsa, car le regard de celle-ci posée sur son
œuvre, était bien différent de ceux, grossiers, portés jusque-là
par tous les autres. Ce jour-là, Elsa a changé sa vie. Depuis le
décès de son mari, Helen façonne ce qu’elle nomme « sa Mecque »,
une œuvre faite de multiples sculptures qu’elle a conçue de toutes
pièces et qu’elle veut à tout prix terminer car elle est devenue
sa raison de vivre. La lettre qu’elle a adressée à Elsa est un appel
de détresse qu’elle ne pouvait envoyer qu’à elle, car elle seule
a toute sa confiance. Helen a grandi au village mais le village
et ses habitants lui sont devenus étrangers, voire hostiles à cause
de ces sculptures qui les dérangent parce qu’ils ne les comprennent
pas, tout comme elle est devenue une étrangère pour eux. Elle ne
sait plus où elle en est: elle est en panne d’inspiration, a le
désir d’en finir… Elle s’apprête ce soir à signer le formulaire
d’admission à « la maison du soleil pour le 3e âge » poussée par
Marius, le pasteur du village. Elle hésite pourtant: « Si ma Mecque
est finie, Elsa, ma vie aussi ». Elsa est atterrée par cette décision.
Il y a cinq ans, elle a rencontré un être libre. Helen doit conserver
cette liberté. Ce n’est pas l’avis du pasteur qui ne comprend pas
ses hésitations, blessé en outre par la méfiance d’Helen à son égard.
Né en Afrique du Sud d’un père d’origine irlandaise et catholique
et d’une mère afrikaner, Athol Fugard porte sur le pays où il vit,
un regard très réaliste et critique. Road to Mecca en est un parfait
exemple car à travers trois personnages, c’est toute la réalité
sud-africaine qu’il brosse. La jeune noire qu’Elsa a fait monter
dans sa voiture représente les souffrances engendrées par l’apartheid.
Ç’est bien sûr l’injustice vis-à-vis de cette jeune femme qui la
révolte mais aussi la vue de ce bébé, trésor dont elle s’est elle-même
privée, à cause d’une trahison. Mais la population noire n’est pas
la seule à pâtir des afrikaners. Elsa en est elle-même la victime,
poursuivie en justice par des parents pour avoir donner un sujet
politiquement incorrect à ses élèves. Elsa, malgré son statut de
femme blanche et de professeur d’anglais, est trop indépendante
à leur goût. Cette liberté d’action est le lien entre les deux femmes.
Si l’indépendance d’Elsa gêne, la distance qu’a pris Helen face
à son village dérange encore plus. A l’apartheid se joint l’état
d’esprit rétrograde et borné des bigots tout d’abord, suivis par
le pasteur qui, grâce à l’amour inavoué qu’il porte à Helen, finira
par réaliser ce que signifie son art : « Il y a plus de bougies
en vous que toutes ces bougies réunies». La magie du décor de Jean-Paul
Dewynter opère, tout comme la délicatesse de la mise en scène d’Habib
Naghmouchin. L’une et l’autre transportent véritablement les trois
comédiens dans la petite maison d’Helen où se joue le reste de sa
vie le temps d’une soirée. Le temps pour eux de mesurer la confiance
de l’autre et de s’apercevoir aussi de la profondeur des liens qui
se sont tissés car si l’auteur relève les travers d’une société
grâce à des dialogues très forts, il met aussi en relief de nobles
sentiments, restitués avec un égal talent par les comédiens. A cela
s’ajoute une très belle réflexion sur l’art et ce qu’il apporte
à la vie. Une œuvre poignante, excellemment mise en scène et interprétée.
Théâtre de la Boutonnière 11e.
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