LE RETOUR AU DESERT

Article publié dans la Lettre n° 269


LE RETOUR AU DÉSERT de Bernard-Marie Koltès. Mise en scène Muriel Mayette avec quinze comédiens dont Catherine Ferran, Catherine Hiegel ou Dominique Constanza, Martine Chevallier, Catherine Sauval, Michel Favory, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Michel Vuillermoz, Julie Sicard, Bakary Sangaré.
1960, dans une petite ville de l’est de la France. Mathilde est de retour. Après quinze ans passés en Algérie, Mathilde Serpenoise revient dans sa demeure familiale avec ses enfants. Le retour de la fille prodigue est accueilli avec mollesse et acrimonie par la famille. La maison lui appartient, elle veut reprendre ses droits et son héritage. Adrien, son frère, a hérité de l’usine, aujourd’hui en faillite. Mathilde est revenue régler ses comptes, mais pas seulement ceux en espèces sonnantes et trébuchantes.
Adrien et Mathilde, le frère et la sœur ennemis viscéralement, ne peuvent pas vivre l’un sans l’autre. Tous les personnages de la pièce sont en quête d’un ailleurs, d’une identité. Les enfants de Mathilde, élevés en Algérie, leur cousin Mathieu, écrasé par ses parents, tous cherchent leur identité. L’arrivée d’un grand parachutiste noir dans le jardin de la maison serpenoise qui proclame son amour pour la France et les mauvais tours que l’histoire fait aux hommes, est symbolique de la quête des habitants de la pièce. Mathilde et ses enfants sont entre deux mondes, l’Algérie et la France, la mère devant régler son passé, les enfants hypothéquer leur avenir alors que la guerre d’Algérie embrase les esprits, attisant les vieilles peurs. Mathilde et Adrien, le potentat aux pieds nus, s’enfuient.
Il était beau comme un jeune premier. Les boucles brunes qui entouraient son visage lui donnaient l'air angélique. Bernard-Marie Koltès trouva en Patrice Chéreau un mentor, un metteur en scène éclairé. C’est lui qui monta la pièce en 1988 avec Michel Piccoli et Jacqueline Maillan, la reine du boulevard pour qui il avait écrit le rôle de Mathilde. Il aimait son sens de la scène et son respect du public. Il mettait ainsi un grand coup de pied dans la fourmilière théâtrale et ses clans.
Muriel Mayette fait ressortir la construction particulière du texte, le verbe flamboyant. Les mots font des circonvolutions dans des grands duos atypiques, des dialogues décalés. En cela, le couple Mathilde-Adrien dont le ciment est une relation haine-amour, est le squelette de la pièce. Muriel Mayette est-elle celle sur qui tout franc-tireur ou aficionado koltésien doit tirer? Force est de constater que beaucoup se réclament de la première mise en scène sans l’avoir vue. Muriel Mayette a fait un travail intime sur le texte, mettant en avant les couples, le plus évident étant Mathilde et Adrien, mais aussi les deux cousins ainsi que Fatima et le fantôme. Elle donne à entendre le texte sans démonstration tapageuse et met en relief l’humour, soulignant les ressorts comiques qu’utilise Koltès qui brassait les genres théâtraux, créant ce ton si particulier qui le singularise. Elle a aussi choisi des accessoires emblématiques et justement nécessaires. Elle laisse enfin la part belle aux comédiens et quels comédiens ! Bruno Raffaeli (Adrien) autoritaire et veule et Michel Favory (Aziz) sont impeccables. Martine Chevallier, comédienne d’exception, donne une ampleur particulière au rôle de Mathilde qu’elle sublime. Elle est comme une porcelaine à la fois fine et dure. Elle tourbillonne avec autorité, mélange exubérance et retenue. Comédie Française 1er. Lien : www.comedie-francaise.fr.


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