LA
REINE MORTE
Article
publié dans la Lettre n° 282
LA REINE MORTE de Henry de Montherlant.
Mise en scène Jean-Laurent Cochet avec Jean-Laurent Cochet, Catherine
Griffoni, Elisabeth Ventura, Xavier Delambre, Pierre Delavène, Frédéric
Guignot, Christophe Bouteillier, William Beaudenon, Thierry Bertomeu,
Axel Blind, Antoine Agrange.
L’infante de Navarre est partagée entre la rage et l’humiliation.
Venue au Portugal pour épouser le prince Pedro, fils du redoutable
roi Ferrante, celui-ci vient de lui avouer sans ambages que son
cœur est lié à celui d’une dame du royaume, la très belle Inès de
Castro. «Savez-vous que chez moi en Navarre, on meurt d’humiliation
?» lance-t-elle furieuse au roi Ferrante qui lui suggère de patienter
durant les cinq jours de fêtes, délai qui permettra sans doute au
jeune Pedro de recouvrer la raison. Que son fils ait une maîtresse
ne lui semble pas être incompatible avec le mariage qu’il projette.
Ce qu’ignore Ferrante c’est que l’union entre Inès et Pedro fut
secrètement consacrée par l’acte du mariage et que la jeune femme
porte déjà en elle le fruit de cette union. Ces deux secrets, le
roi va les apprendre au fur et à mesure, non de la bouche d'un fils
trop lâche, mais de celle d’Inès. Déchiré entre l’étrange sympathie
qu’il ressent pour la jeune femme et l’envie de la faire assassiner,
envie attisée par son premier ministre Egas Coelho et son conseiller
Alvar Gonçalvès, Ferrante hésite et tergiverse avant de passer à
l’acte. Car cette sympathie tourne peu à peu en connivence. Il finira
même par lui avouer son drame, celui de ne plus avoir la foi en
ce qu’il fait: « Je me suis retiré, moi et toute mon âme, de mon
apparence de roi ». Ce « roi de douleur », Inès l’écoute. Son amour
pour Pedro et sa grandeur d’âme ont dépassé la raison. Elle reste
au Portugal malgré le danger de mort qui plane sur elle et malgré
l’offre généreuse faite par l’infante de Navarre, au courant du
projet de meurtre, et qui lui propose de partir avec elle. Ce manque
de foi en ses actes qui le ronge et le dévore, Ferrante le lui confesse
puis il s’en servira en quelque sorte pour la trahir, la faisant
assassiner juste avant de mourir lui-même.
« Reinar después de morir » (« Régner après sa mort ») est
le titre de la pièce de Luis Vélez de Guevara écrite en 1622 et
dont s’est inspiré Henri de Montherlant en 1941 pour écrire « La
Reine Morte », sa première vraie pièce. Elle prend sa source
dans l’histoire réelle de la belle Inès de Castro, maîtresse de
Dom Pedro assassinée en 1355 à Coimbra sur l’ordre du roi Alphonse
IV, père du prince. La pièce dépasse le thème classique de l’amour
contrarié par la raison d’état. Beaucoup plus compliquée, elle est
dominée par la figure omniprésente du roi Ferrante, dont la menace
grandit à chaque scène. La complexité du personnage permet à l’auteur
une superbe réflexion sur le pouvoir et son usure, sur les luttes
d’influence, sur le combat entre la grandeur et la médiocrité, entre
la vieillesse et l’enfance, entre la puissance et la faiblesse mais
aussi entre l’amour placé plus haut que tout représenté par doña
Inès et le pouvoir placé plus haut que tout représenté par l’infante
de Navarre.
Jean-Laurent Cochet monta cette pièce au Théâtre Hébertot
avec Jacques Eyser dans le rôle de Ferrante. Il l’a gardée dans
son esprit et dans son cœur et la monte de nouveau, parée des mêmes
meubles et des mêmes costumes pieusement conservés qui servent fort
bien sa mise en scène. Classique, celle-ci met bien en relief le
ton solennel de l’œuvre, l’écriture brillante, certes parfois emphatique,
mais parsemée d’humour noir, même si la qualité d’interprétation
des comédiens est inégale. Trop souvent mis à l’index parce qu’il
était de droite et avait sans doute trop de génie, on ne peut manquer
de célébrer, grâce à cette œuvre phare, l’un des plus grands auteurs
du XXe siècle que fut Henry de Montherlant. Théâtre 14 Jean-Marie
Serreau 14e. Pour
voir des visuels du spectacle, cliquez ici.
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