LE RÉFORMATEUR
Article
publié dans la Lettre n° 385
du
21 septembre 2015
LE RÉFORMATEUR de Thomas Bernhard.
Traduction Michel Nebenzahl. Mise en scène André Engel, collaboration
artistique Ruth Orthmann avec Serge Merlin, Ruth Orthmann, Gilles
Kneusé, Nicolas Danemans, Thomas Lourié.
Du cousu main. Le décor respecte la volonté d’André Engel de situer
la pièce à l’époque des Lumières. La pièce à vivre est un espace
idéal pour une mise en scène bien rodée : mobilier massif, étroite
fenêtre à petits carreaux en losanges, banquette sous la baie vitrée,
pendule qui égrène ses minutes. Les costumes vont de pair: des robes
d’époque impeccables pour elle, des hardes pour lui, vieillard hypocondriaque
et tyrannique. Rompu au texte maintes fois interprété, Serge Merlin,
est installé dans un fauteuil qu’il ne quitte pratiquement pas.
Sa présence est impressionnante. On ne voit que lui, face à sa compagne,
réceptacle de son ire. Il soliloque, parle à son poisson rouge qui
n’en peut mais, « à son bonnet » ou morigène sa femme qu’il martyrise
à loisir et traite en esclave. Ruth Orthmann excelle dans ce rôle
en retrait, pourtant physique, à en juger la fin… Muette, elle opine
et obéit, presque sans mot dire. Le philosophe s’indigne, invective,
encense son ouvrage, le Traité de la réforme du monde, où
il développe sa théorie de la destruction totale. Il s’apprête à
être nommé docteur Honoris Causa et attend chez lui le recteur
de l’université et le maire de Francfort qui vont lui remettre ce
titre. Cet honneur le met dans un état proche de la démence. L’orgueil
coudoie la haine que lui inspire le monde. Il crache son dégoût
de la Suisse, de l’Autriche et des hommes. L’attente est propice
à cette interminable logorrhée. L’arrivée de la délégation, pourtant
révérencieuse, ne le calme pas, bien au contraire. Décidé à gâcher
la fête, il geint sur des maux imaginaires avant d’exploser. Les
deux hommes s’enfuiront sous un déluge d’insultes.
Entre les lignes de cette pièce écrite en 1979 et créée deux fois
déjà par André Engel, affleurent la vie même et l’état d’esprit
de Thomas Bernhard : son ironie, ses frustrations, son sens de la
dérision et de la provocation, sa détestation des honneurs mais
son besoin paradoxal de leurs avantages. Du cousu main, certes,
mais il est parfois ardu de passer une soirée avec Monsieur Bernhard.
Théâtre de l’Œuvre 9e.
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