LES RATÉS
Article
publié dans la Lettre n° 379
du
2 mars 2015
LES RATÉS de Natacha de Pontcharra.
Mise en scène de Fanny Malterre. Avec Jean-Christophe Allais, Jean-Yves
Duparc, Rainer Sievert.
Au temps très jadis, il y eut des faces-de-rats chez les aïeux Bordurier-Duchaussoy…
Et voici Jef et Jeffy, deux têtes de rats d’un coup, et les
poils, et l’horreur avec eux. Des rats trop grands, des hommes trop
petits, bref qui ne font pas partie des gens du tout. Tarés,
mais pas idiots, pas dupes des regards en coin malgré les capuches,
malgré l’attachement bourru des parents. L’accident génétique ne
résout pas l’horreur quotidienne, le ballon crevé et les vélos chapardés,
les remplaçants collés au banc de touche, le désert des amis. Alors
on devient les rois du latex, les illusionnistes du masque. On collectionne
les pin-up et les photos un peu floues. Mais il y a toujours le
poil, poil à gratter pour refusés de partout, pire que les habituels
ostracisés. Voilà Jef et Jeffy en verduriers de grande surface,
mais dehors, toujours.
La catastrophe s’annonce dans un inénarrable commentaire « footbalistique ».
Parce qu’on a beau être des tarés, des ratés, comment accepter sans
réagir l’injustice des petits chefs ? Un coup de gueule c’est
vite parti… avec la blouse kaki, et la peau qui collait si bien.
Et les voilà définitivement enfermés, à l’extérieur, toujours. Est-ce
une fable, grinçante et burlesque ? Certes. A-t-on envie de pleurer,
de compatir ? Peut-être. En rira-t-on ? Oui, en demi-teinte. Mais
avec la jubilation du jongleur de mots et d’à-peu-près, et ce vertige
du funambule qui échappe au désespoir et à la sensiblerie. Un père,
deux fils, trois tabourets, et surtout le silence qui étire sa plénitude
aux limites d’une violence insoutenable. Et la tendresse de trois
grands serviteurs d’un théâtre sans concession. Beau, vraiment.
A.D. Théâtre du Lucernaire 6e.
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