R.E.R.
Article
publié dans la Lettre n° 310
R.E.R. de Jen-Marie Besset. Mise en
scène Gilbert Désveaux avec Didier Sandre, Andréa Ferréol, Marc
Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet, Chloé Olivères, Lahcen
Razzougui.
Des couples improbables, une incoercible solitude. Celle de Jeanne,
midinette gavée de journaux people qui se voudrait princesse à l’Eden
Rock avec les têtes couronnées. Ses rêves de voyage se réduisent
à une collection de valises qu’elle achète en les marchandant dans
un anglais plus qu’approximatif. C’est ce sabir désopilant qui permet
sa rencontre avec Joe le frimeur, séducteur de banlieue, escroc
à la petite semaine, qui drague et emballe Jeanne, mais est incapable
de se mettre à la mesure des fantasmes de la midinette.
Solitude amère et frustrée de la mère de Jeanne, Madame Argense,
raciste et homophobe, témoin sans illusion de la dérive de sa fille.
Solitude plus sophistiquée d’Onyx, Bobo juive parisienne, intellectuelle
et soi-disant libérée qui rêve de Madame de… alias Louise de Vilmorin.
Elle fait peuple en jouant les ouvreuses de cinéma et revendique
à cœur cynique et à cris indignés son appartenance juive, tout en
occultant un prénom à ses yeux trop connoté. Son jeune amant, Adam
Jean dit A.J., ingénieur professionnellement exilé en Chine, est
d’une inculture réjouissante et volontiers provocatrice, fou amoureux
du corps de la belle intello. Solitude lucide de l’ami d’A.J. Herman,
riche avocat juif et homosexuel vieillissant, attiré depuis longtemps
par le bel étalon simpliste, pour qui il jouera les entremetteurs.
Pour cet esthète cultivé et cynique, la fréquentation des têtes
pensantes est une tradition ancienne et familiale. Mais il est capable
de payer sans illusion les services spéciaux de Joe, révulsé mais
vénal.
C’est cette solitude dans l’incompréhension mutuelle qui mettra
le feu aux poudres dans l’esprit peu équilibré de Jeanne. Ne pouvant
clamer sa solitude que par la mythomanie, elle invente un mensonge
énorme. Ce fait réel avait d’ailleurs défrayé en 2004 la chronique
médiatico-politique.
Herman, le premier, flaire la supercherie, même inconsciente, de
Jeanne. Tout comme sa mère, Madame Argense, qui, malgré sa tendresse
maternelle, accompagne sans illusion, avec Herman, le happy end
de sa fille. Il reste, pour la confusion de tous, cette agression
à relents antisémites qui entre en résonance de toutes les frustrations
diverses. « Juif , c’est la façon de dire « pouce ! » quand on
est adulte », s’exclame A.J., non sans un humour pertinent.
Didier Sandre a la souplesse désabusée de celui qui est revenu de
presque tout, Andréa Ferréol porte sur le monde son regard limpide
et glacé. Mathilde Bisson traîne sa fébrile névrose sur d’interminables
jambes en instance de n’importe quel départ. Alors que Chloé Olivères,
pulpeuse et sensuelle, sautera sur n’importe quelle occasion militante.
Lahcen Razzougui et Brice Hillairet, quant à eux, témoignent de
la santé sans complication des corps. Dans un décor contrasté et
alterné, les acteurs servent, avec bonheur et variété de tons, cette
rencontre entre deux mondes que rien ne prédestinait à se croiser,
sinon par le truchement de ce lieu de mixité imprévisible qu’est
le R.E.R. Cartoucherie - Théâtre de la Tempête 12e. A.D.
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