LE
PROFESSIONNEL
Article
publié dans la Lettre n° 275
LE PROFESSIONNEL de Dusan Kovacevic.
Adaptation et traduction Anne Renoue et Vladimir Cejovic. Mise en
scène Stephan Meldegg avec Jean-Pierre Kalfon, Jean-Marie Galey,
Muranyi Kovacs, Jérôme le Paulmier.
Teodor Kraj fête ses quarante ans aujourd’hui. Il a été nommé il
y a deux mois directeur d’une maison d’édition par la « nouvelle
Serbie ». Cette promotion ne fait pas grand effet à cet intellectuel
dissident, qui n’a jamais caché ses opinions. « Ici et pour l’heure,
je suis quelqu’un, nommé par quelqu’un, pour m’occuper et prendre
soin de quelque chose » se plaît-il à dire. Il a ourdi le vague
projet d’inviter Marta, sa secrétaire, à déjeuner pour fêter son
anniversaire. Celle-ci, très dépressive, couve son patron sans pour
autant exprimer le moindre sentiment. Elle tente d’écarter les visites
inopportunes et souvent orageuses d’écrivains en herbe dont les
manuscrits n’ont pas reçu la suite qu’ils méritaient, selon eux.
Alors que dans la pièce contiguë, l’ex-directeur, toujours dans
les murs, fait bruyamment la fête pour indisposer le nouveau, survient
un inconnu chargé d’une grande valise noire et d’une serviette en
cuir. L’homme, aux abords assez inquiétants, se présente comme un
ancien ami et collègue du père de Teodor, sort de la serviette plusieurs
livres et lui assure qu’il en est l’auteur. Celui-ci qui n’a pratiquement
jamais écrit s’étonne et il n’a pas fini d’être surpris : Lucas,
policier à la retraite, lui annonce qu’il a été durant des années
sa mission officielle et qu’il sait tout de lui, même ce
que Teodor ignore. Le visiteur s’assoit et Teodor va tout à coup
voir ressurgir devant lui un passé dont il n’avait pas conscience.
Cette pièce a séduit Anne Renoue et Vladimir Cejovic qui s’apprêtaient
à traduire une autre pièce de Dusan Kovacevic, scénariste du film
Underground réalisé par Emir Kusturica. La référence est
importante car on retrouve dans cette œuvre la même causticité et
la même dérision, cet humour noir décalé flamboyant et dérangeant
qui caractérise les œuvres des pays de l’Est. Le travail sur les
deux époques, la vieille et la nouvelle Serbie, colonne
vertébrale de la pièce, est passionnant et son organisation un coup
de génie. Il serait dommage d’en dévoiler le déroulement que Stephan
Meldegg met en scène avec une formidable adresse. Jean-Pierre Kalfon,
Lucas énigmatique et intrigant, Jean-Marie Galey, Teodor désabusé,
glissant peu à peu vers l’émotion, sont parfaits. Théâtre Rive
Gauche 14e.
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