POUR
LUCRECE
Article
publié dans la Lettre n° 251
POUR LUCRECE de Jean Giraudoux. Mise
en scène Odile Mallet et Geneviève Brunet avec Geneviève Brunet,
Jacqueline Danno, Gwenola de Luze, Marianne Giraud ou Juliette Meyniac,
Jean-François Guilliet, Patrice Keller, Antoine Nouel, Yvan Varco.
Dans la ville d’Aix en Provence, tout respire bonheur et joie de
vivre. Le soleil, les fleurs et leurs multiples odeurs, la touffeur
de l’été, tout invite à l’expression des sens, sans vergogne. Lionel
Blanchard, procureur de la République et sa femme Lucile, viennent
de s’y installer. La jeune femme, éprise de pureté est dotée d’un
étrange pouvoir, celui de rester muette et de détourner le regard
devant celui ou celle qui représente la débauche et provoque son
mépris. Pourtant, par amour de la pureté, elle révèle à Armand l’infidélité
de sa femme Paola. Elle provoque ainsi la rupture du couple mais
aussi la vengeance de Paola qui causera sa perte.
La pièce, créée en 1953 par la Compagnie Renaud-Barrault n’est pas
la plus connue de l’auteur. Jean Giraudoux met en scène le combat
tragique entre le vice, incarné par Paola, et la vertu, symbolisée
par Lucile. A l’instar de Lucrèce qui préféra le suicide au déshonneur,
son exigence de pureté absolue, qu’elle croira à tort entachée,
conduira Lucile au désespoir et à la mort. Jean Giraudoux montre
avec maestria la bassesse des uns face à la noblesse des autres
mais il oppose aussi la médiocrité d’un mari face à la grandeur
d’âme de sa femme, une résonance très critique dont on perçoit curieusement
l’écho chez Villiers de l’Isle-Adam dans la Révolte. Les deux pièces
comportent la même description de la différence profonde de nature
entre l’homme et la femme, le besoin d’émancipation de celle-ci,
le poids de l’éducation dans une société régie par les hommes.
Spécialistes du théâtre de Jean Giraudoux, Odile Mallet et Geneviève
Brunet mettent en scène avec talent cette œuvre foisonnante. Elles
ont choisi d’alléger le texte afin de le rendre plus accessible
mais elles en ont gardé avec bonheur la beauté, la magie, la poésie
de la forme et l’intensité du fond. Elles ont situé l’action vers
1910-1930 dans un contexte proche de celui choisi par l’auteur (sous
le règne de Napoléon III), afin de conserver la morale rigoureuse
de la société de l’époque, indispensable à l’intrigue. L’évocation
de la ville d’Aix, les couleurs chaudes, l’ambiance insouciante,
le bonheur frivole de jouir de l’instant sont remarquablement restitués
au premier acte par le décor unique, modulable pour trois lieux
différents, qui peu à peu glisse vers l’austérité du dernier acte.
Les bruitages et les lumières apportent à cette réussite une contribution
non négligeable. Le choix des comédiens est judicieux. La différence
physique entre Lucile et Paola, délicieusement parées, permet de
bien cerner leur personnage, de même pour les rôles masculins. Odile
Mallet et Geneviève Brunet ont su en un mot exploiter la puissance
poétique d’une œuvre qui garde toute son actualité. Théâtre 14
Jean-Marie Serreau 14e.
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