POIL DE CAROTTE

Article publié dans la Lettre n° 348
du 31 décembre 2012

POIL DE CAROTTE de Jules Renard. Mise en scène Michel Pilorgé et Jean-Philippe Anselle avec Morgane Walther, Michel Pilorgé, Annie Monange ou Brigitte Aubry, Alexia Papineschi.
Quand la gangrène des non-dits ou des mal-dits s’installe dans la famille, l’univers le plus banalement quotidien s’en trouve asphyxié. Le fils cadet, adolescent en mal de reconnaissance, y subit les avanies répétées d’une mère tyrannique, le père prend la tangente, entre sieste et partie de chasse. L’arrivée de la nouvelle bonne fait exploser cet équilibre délétère. Le si rouquin Poil de Carotte n’a même pas droit à un prénom et oscille, devant Annette, entre rodomontades bravaches et terreurs incoercibles à la simple évocation de sa mère, Madame Lepic hargneuse et confite en dévotion. Quand le fils et le père se retrouvent enfin en terrain de confidence, se révèlent alors le désamour des parents, les haines et jalousies larvées, le constat des échecs irrémédiables. Et la tentative de confession enfin libératrice viendra trop tard.
Dans ce paysage familial, dont la mise en scène dépouillée met en relief le caractère faussement paisible, le regard clair et étonné d’Annette focalise les allergies irrépressibles. Monsieur Lepic laisse transparaître une émotion empreinte du regret de la tendresse jamais exprimée, par aveuglement et lâcheté, et Michel Pilorgé confère au personnage un caractère bonhomme et bourru très convaincant. Madame Lepic est vipérine, mais sa méchanceté doit beaucoup à la frustration, en filigrane, d’une femme frigide dont la carapace se craquèle. Morgane Walther donne à la fragilité adolescente de Poil de Carotte toute son ambiguïté maladroite. Famille, j’aurais pu vous aimer… Trop tard. Théâtre du Lucernaire 6e. A.D.

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