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             LA PLUIE D’ÉTÉArticle 
              publié dans la Lettre n° 330du 
              3 octobre 2011
 
 LA PLUIE D’ÉTÉ de Marguerite Duras. 
              Mise en scène Emmanuel Daumas avec Claude Mathieu, Éric Génovèse, 
              Christian Gonon, Marie-Sophie Ferdane, Jérémy Lopez, Adeline d’Hermy. 
              Le passé de la mère est flou : la Sibérie, un train, une brève rencontre 
              et puis Paris à 17 ans où elle fait la connaissance d’Emilio, le 
              père, émigré italien. Ils s’aiment, des enfants naissent. L’aîné 
              est mort, Ernesto est le second. Après, il y a Jeanne et puis les 
              autres, les brothers et les sisters. Pour ceux-ci, les parents 
              ont baissé les bras et les laissent sous la surveillance d’Ernesto. 
              Ah les enfants, quelle calamité pour des parents ! On les aime, 
              bien sûr, mais ils sont si lourds à porter que parfois l’envie de 
              les abandonner ronge le coeur. Ils le sentent d’ailleurs les petits, 
              inquiets lorsque le soir arrive et que les parents ne rentrent pas, 
              les verres d’alcool les ayant transportés de bars en bars loin du 
              centre de Vitry, où l’on a mis à leur disposition une maison en 
              passe d’être démolie, un deux pièces cuisine avec un petit appentis, 
              pour ne pas laisser cette famille nombreuse à la rue. Univers à 
              la fois pauvre et joyeux que ce logis où s’infiltre l’eau de pluie, 
              coincé entre la verdure et la voie ferrée, malgré la crainte toujours 
              présente du lendemain. L’argent manque mais ils trouvent des livres 
              abandonnés dans les trains ou à côté des poubelles, des vêtements 
              au service social. Le problème de la scolarité des enfants ne s’est 
              jamais posé. Un temps on y pousse Ernesto mais il s’en échappe vite 
              « parce qu’on y apprend des choses qu’on ne sait pas ». Ernesto 
              aime s’isoler dans l’appentis. Un jour, il y trouve un livre recouvert 
              de cuir noir, en partie brulé. Il n’a pas appris à lire mais parvient 
              à en déchiffrer l’histoire, celle d’un roi qui a vécu très loin, 
              un roi juif du nom de David qui a compris que tout est vanité 
              et poursuite du vent. Cette phrase tourne dans la tête d’Ernesto, 
              il sent qu’elle contient tout, elle lui ouvre un univers insoupçonné. 
              Ernesto, Jeanne, les brothers et les sisters grandissent 
              mais le chemin est dur. Ernesto pensait que quand il serait grand 
              il pourrait donner à sa mère tous ces biens matériels qui lui manquent 
              mais il constate qu’ « on ne peut rattraper les parents ». Alors 
              un jour, sous une pluie d’été, Ernesto s’arrachera à sa famille, 
              à sa ville. Jeanne fera de même. Ils laisseront derrière eux les 
              parents, les brothers et les sisters, désormais à l’abandon, 
              tout comme la verdure et les masures désormais mangées par le béton.
 Marguerite Duras a d’abord écrit un conte pour enfant dont elle 
              a tiré un film « les Enfants » en 1984. Puis en 1990, après 
              un long coma, elle a écrit le roman dans lequel elle a inséré les 
              dialogues du film. Entre gravité et humour, elle aborde de nombreux 
              thèmes, le prolétariat, l’émigration, la pauvreté, l’exclusion, 
              la famille et la fratrie mais aussi le monde de l’enfant qui observe, 
              s’instruit seul et comprend.
 Sur la scène, pour tout décor, un espace unique, lieu propice à 
              tous les changements grâce aux meubles que l’on ajoute, ou déplace. 
              C’est une mine de trouvailles d’une folle originalité pour le metteur 
              en scène et le scénographe qui s’en donnent à cœur joie.
 Les comédiens rompus au chant et à la danse y évoluent avec une 
              époustouflante aisance. Tous remarquables, ils nous emmènent, entre 
              gravité, rire et émotion, dans l’univers d’Ernesto grâce à l’écriture 
              pleine d’acuité de Marguerite Duras qui coule dure, intransigeante, 
              violente mais aussi douce comme une caresse. Un très beau moment 
              de théâtre. Théâtre du Vieux Colombier 6e.
 
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