PLACE
VENDOME, AOUT 44
Article
publié dans la Lettre n° 271
PLACE VENDÔME AOÛT 44 de Alain Houpillart.
Mise en scène Martine Coste avec Sophie Leclerq, Jean-Marc Foissac.
Il fait nuit noire dans les salons de l’hôtel Ritz, lorsqu’un gaillard
hirsute en treillis militaire fait irruption. Il a soif et hurle
dans le vide son désir d’alcool auquel personne ne répond. Dehors,
des bombardements se font entendre dans la capitale incessamment
libérée. Les chars de Leclerc vont faire leur entrée dans Paris
et le colonel Ernest Hemingway veut être le premier à libérer la
place Vendôme, avant Robert Capa, avant tous les autres. Mais l’occupant
est parti et lorsque jaillit enfin la lumière, c’est devant une
« petite dame » tout à fait seule dans le palace déserté qu'il se
retrouve. Celle qu’il prend tout d’abord pour la dame pipi, est
allongée sur un divan. Coco Chanel n’a rien perdu de sa superbe,
même si elle s’attend à être arrêtée. Elle a vécu là le temps de
la guerre avec un baron allemand. A l’heure actuelle, elle ne compte
plus les résistants de la dernière heure, les règlements de compte,
les amies tondues, les amis embarqués au petit matin en pyjama.
Elle est prête et ce n’est pas Ernest Hemingway qui va l’impressionner
: « Vous n’êtes pas un guerrier mais d’abord un plumitif ». Une
discussion orageuse s’engage alors entre ces deux fortes têtes.
L’un qui, après tant de combats acharnés et perdus un peu partout
dans le monde, s’étonne d’être pour la première fois de sa vie «
dans le camp des vainqueurs ». L’autre qui, contrairement à la soixantaine
de maisons de coutures parisiennes qui ont poursuivi leurs activités
pendant la guerre, a posé ses ciseaux et son dé à coudre, afin de
ne pas avoir à habiller celles qui ont tenu le haut du pavé durant
ce temps. « Depuis cinq ans, je n’existe plus, depuis cinq ans,
je n’ai pas touché une étoffe ». C’est sa fierté, sa façon à elle,
d’avoir résisté. De répliques en répliques, les algarades s’apaisent.
Si la naissance, l’éducation, les opinions politiques les opposent,
leur anticonformisme, l’amour de la vie, la soif du travail bien
fait et celle de la reconnaissance les rapprochent. Les anecdotes,
les confidences, les réflexions surgissent alors et forgent peu
à peu ce qui aurait pu devenir une amitié si cette rencontre avait
eu lieu.
En imaginant Coco Chanel et Ernest Hemingway se croisant en août
44 au Ritz, Alain Houpillart a simplement cherché à rendre hommage
à ces deux personnalités hors du commun. Son admiration à leur égard
n’est pas feinte. On la sent à chaque détour de phrase, à chaque
mot. Ces deux vies qu’il remémore en une grande heure d’horloge,
il les a fouillées de fond en comble, analysées et il en a sorti
le suc. Remarquablement documenté, il corrobore ce que l’on sait
déjà, et complète ce qu’on ignorait encore. Martine Coste a choisi
de mettre en scène ce tête à tête de façon vive, sans temps mort
et l’habille de documents d’époque projetés au fond de la scène.
Ces films et la complicité qui lie Sophie Leclerq et Jean-Marc Foissac
lui confèrent un étrange parfum d’authenticité. Les Déchargeurs
1er.
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