PHÈDRE LE MATIN

Article publié exclusivement sur Interrnet avec la Lettre n° 356
du 15 juin 2013


PHÈDRE LE MATIN. Texte et mise en scène Marie Piemontese avec Isabelle Lafon, Anastasia Baraviera (violoncelle), Stéphane Marjan.
Le violoncelle est là, devant nous, et sa voix s'étire, lancinante et humaine, en écho aux mots que profère cette bouche de femme, immédiate et virtuelle, projetée sur les murs en écrans. Elle évoque la mer de son enfance et de ses plages, marée de mémoire et de fantasmes, de serpents et de tremblements de terre. Telle une Méduse chuintante qui pétrifie le réel entrevu, les yeux en pressentent déjà la photographie. Parce qu'elle s'est sentie un jour « pavé dans la mare » troublant la vase d'un lac, Phèdre décide d'écrire le soleil, de goûter à la densité physique de l'obscurité, d'emmurer l'ombre en contour des choses et des corps. De les photographier. Gens et objets vivent désormais en elle par leur trace lumineuse. Phèdre, la ténébreuse qui hante les nuits, cherche à retenir la résonance de Thésée le fugace, le mari de l'ailleurs. Elle va croiser la route obsédante du fils, Hippolyte, beau et vide comme ses mensonges, un miroitement en perpétuel égarement, un vertige, un empilement de spasmes. Dans ce frémissement d'Hippolyte en elle, Phèdre se perçoit, avec son désir jusqu'à la nausée, comme une cellule photosensible au reflet des autres, elle voit et vit en elle la mort de l'amant comme une explosion de soleil, qui laissera sur le mur de sa mémoire un contour ineffaçable.
La voix du violoncelle accompagne, sous-tend, embrasse cette étrange mélopée dans les flux et reflux des souvenirs, du désir et de la folie. Et l'impression en est d'autant plus inédite que, loin des heures et des lieux habituellement obscurs, cet entrelacement du mythe et de la vie s'enroule et se love en pleine matinée, toutes fenêtres ouvertes à la lumière crue et sans concession de la réalité diurne. Mais est-ce bien la réalité ? Sommes-nous devenus à notre tour photographes de nos fantasmes ? Seule la blessure du soleil pourrait le dire… Maison des Métallos 11e. A.D.


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