LE PÈRE GORIOT

Article publié dans la Lettre n° 397
du 23 mai 2016


LE PÈRE GORIOT d’après Honoré de Balzac. Mise en scène Frédérique Lazarini avec Thomas Ganidel, Marc-Henri Lamande, Didier Lesour ou Jacques Bondoux.
Ils sont trois hommes en scène, à qui incombe la tâche démesurée de donner à voir le long fleuve si peu tranquille du roman de Balzac. Qui ne se souvient de cet attendrissant Père Goriot, affligé, - sans doute par sa trop grande mansuétude à leur égard -, de deux filles monstrueuses d’égoïsme qui le pilleront sans vergogne jusqu’à sa mort esseulée ?
Témoin de cette déchéance, Eugène de Rastignac, le jeune provincial nouvellement happé par la capitale, y fera ses premières armes d’arriviste, écartelé entre sa sympathie apitoyée pour le vieil homme, une indignation non moins sincère devant l’insensibilité volage de l’aînée, Anastasie comtesse de Restaud, et de la cadette, Delphine baronne de Nucingen, mais aussi sa fascination ambiguë pour la coquette finaude qu’est Delphine. Sa naïveté sera mise à mal par l’escroc Vautrin, l’âpreté mielleuse de la logeuse Vauquer, les conseils matrimoniaux et mondains de sa cousine Beauséant. La mort de Goriot ruiné, entre larmes, colère et délire, décillera définitivement le jeune hobereau désargenté, enfin armé pour affronter, du haut de Montmartre, la ville à ses pieds. Paris est le filigrane de cette fresque, miroir aux alouettes où se trament intrigues et crimes, que les divers tableaux évoquent par le filtre de la Pension Vauquer. Echappant au réalisme descriptif, l’ingéniosité de la mise en scène très dépouillée s’appuie sur un seul décor, simple panneau troué de quelques fenêtres par lesquelles les personnages vont alterner les scènes intimes ou publiques.
Pour rendre compte de cette immense farce sociale, la description des lieux et des circonstances est laissée à la voix off, tandis que le parti-pris est d’en montrer le masque protéiforme, tandis que les accents de Norma entre autres matérialisent l’opéra, lieu physique et musical des rencontres d’Eugène. Les trois acteurs, avec masques et horipeaux signifiants, alternent en une valse grinçante les émois du cœur, les rages sociales et conjugales, les conquêtes difficiles. La douleur du Père Goriot, crucifié au sens propre entre ses deux parasites avides, ou encore sa sordide agonie sous les yeux de Rastignac sont des modèles d’intelligence théâtrale.
Démesurée, cette tâche ? En apparence seulement, en regard du plaisir pas un seul instant démenti de cette traversée. A.D. Artistic Théâtre 11e.

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