PENTHESILEE
Article
publié dans la Lettre n° 280
PENTHÉSILÉE d’Henrich von Kleist.
Traduction Ruth Orthmann et Éloi Recoing. Mise en scène Jean Liermier
avec quatorze comédiens dont Martine Chevallier, Catherine Sauval,
Thierry Hancisse ou Andrzej Seweryn, Cécile Brune, Sylvia Bergé,
Éric Ruf, Bakary Sangaré, Léonie Simaga, Grégory Gadebois, Géraldine
Martineau.
Philippe Miesch a une fois de plus été inspiré. Camp retranché,
abords de la bataille, siège inaccessible de la grande prêtresse
de Diane, lieu de rencontre de Penthésilée et d’Achille, les éléments
du décor s’articulent et se transforment, suggérant les lieux sobrement,
bel écrin de la mise en scène. Alors que le champ de bataille oppose
grecs et troyens, Penthésilée, reine des amazones, est partie en
chasse avec sa troupe afin de capturer les plus valeureux guerriers
qui leur serviront à se reproduire lors de la Fête des Roses. Elles
n’ont pas le droit de choisir, encore moins celui d’aimer. Mais
en décochant ses flèches, c’est une autre, insoupçonnable, que va
recevoir le cœur de Penthésilée : son regard tombe sur Achille.
Celui-ci souffrant de la même attirance, ils vont s’affronter, chacun
devant emporter l’autre dans son royaume et célébrer l’union. La
bataille est perdue d’avance. Achille raisonne en guerrier, Penthésilée
en chasseresse …
C’est une pièce puissante où se côtoient tous les excès et toutes
les passions, du sublime au monstrueux. Ruth Orthmann et Éloi Recoing
ont travaillé la traduction ensemble. Deux années de maturation
du texte pour que l’allemand de l’un rejoigne et se mêle au français
de l’autre afin de rendre « cette torsion de l’allemand » pratiquée
par l’auteur dans un français parfait où les mots coulent et se
déversent en phrases rythmées comme des vers.
L’errance de l’amour fou où celui qui aime lacère l’autre
au lieu de l’enlacer est au cœur du drame de Kleist. L’auteur
détourne la version mythologique la plus répandue. Ce n’est plus
Achille qui tue Penthésilée, en tombe amoureux et la viole, c’est
Penthésilée qui va tuer et dévorer Achille. Jean Liermier dans sa
mise en scène met parfaitement en relief cette démesure de l’amour
fou, donc destructeur, entre deux êtres seuls face à un entourage
impuissant. Il est un formidable directeur d’acteurs pour Léonie
Simaga et Éric Ruf qui s’emparent de leur rôle avec force. Les autres
comédiens, témoins efficaces de la tragédie, se comptent. On aurait
rêvé peut-être d’un groupe plus imposant d’amazones, à l’image de
l’impressionnante Astérie, très belle Sylvia Bergé. Comédie Française
1er (08.25.10.16.80) en alternance jusqu’au 1er juin.
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