PENSÉES SECRÈTES
Article
publié dans la Lettre n° 337
du
27 février 2012
PENSÉES SECRÈTES de David Lodge. Adaptation
Gérald Sibleyras. Mise en scène Christophe Lidon avec Isabelle Carré
et Samuel Labarthe.
Dans le petit studio mis à sa disposition sur le campus de l’université
de Cheltenham, Helen Read fait un peu l’effet d’un oiseau tombé
du nid. Elle se demande pourquoi elle a accepté cette invitation
à dispenser des cours de création littéraire et prose narrative
durant trois mois. Elle se sent un peu perdue. Helen n’est pas remise
du décès brutal de son mari un an plus tôt et elle regrette déjà
sa maison londonienne. Depuis ce deuil, elle n’écrit plus une ligne,
elle, romancière reconnue. Elle ne couche plus sur son ordinateur
que ses réflexions, sorte de journal intime qui lui permet de se
confier. Depuis son arrivée, un bâtiment bizarre l’intrigue. C’est
L’institut des sciences cognitives, lui a-t-on dit. Les sciences
cognitives, cela ne lui dit rien. Drôle d’architecture, d’ailleurs,
que cet immeuble tout en verre et acier avec un dôme étrange divisé
en deux, comme les deux hémisphères d’un cerveau. Une idée d’architecte…
Elle va bientôt faire la connaissance de son directeur Ralph Messenger,
« une star » sur le campus, la cinquantaine, très bel homme, marié
à Carrie, une femme charmante, américaine et très riche. Ils forment
un beau couple, l’un de ces couples aux trois enfants magnifiques
que l’on se surprend à envier. Homme à femmes, cet adepte des trois
B remarque tout de suite Helen. Il s’arrange pour l’inviter dans
le cottage familial un week-end. Une amitié se lie entre le couple
et la romancière. Des conversations animées s’engagent entre Helen
et Ralph qui n’ont absolument pas la même conception du fonctionnement
du cerveau et de ses émotions. Pour elle, après la mort, l’âme,
l’esprit demeurent. « Pure invention générée par notre activité
cérébrale », lui rétorque-t-il : « Le cerveau, avec ses milliards
de neurones, fonctionne comme un ordinateur très puissant qui a
un nombre fantastique de logiciels ». « Le jour où le cerveau s’arrête
de fonctionner, tout ça disparaît ». Il admet pourtant qu’un spécialiste
des sciences cognitives en sait moins à l’heure actuelle sur la
conscience que ce que les romanciers prétendent savoir. Les scientifiques
ont décidé que la conscience était un problème, un problème qu’il
fallait résoudre, Helen en est touchée. Pour elle, « La conscience,
c’est la matière première des romanciers ».
Si Ralph travaille sur l’étude systématique de la conscience,
les femmes le passionnent tout autant. Il aimerait pousser plus
loin leur relation mais, pour Helen, élevée dans la religion catholique
et ses principes, l’adultère est inenvisageable. Pourtant, un simple
baiser volé la trouble plus qu’elle ne le voudrait. Elle ne s’y
attendait pas mais elle s’est laissée faire.
Lequel de ces deux intellectuels laissera-t-il des plumes dans cette
relation, « cette excitante histoire de sexe » ? L’ artiste, humaine
et intuitive, fragilisée, à la sensibilité à fleur de peau ou le
savant au raisonnement froid, calculateur, cynique à ses heures
? L’ homme n’est-il pas « un inépuisable sujet de déception » ?
N’est-ce pas une force que de le savoir ?
L’ univers littéraire de David Lodge est tout entier contenu dans
cette pièce. Elle met en scène des personnages tels que ceux que
l’on rencontre dans ses romans : intelligents, au discours assez
intellectuel, anticonformistes pour certains mais ancrés pour d’autres
dans les réalités de l’existence, dans ses petites joies comme dans
ses peines.
Gérald Sibleyras va bien au-delà de l’adaptation. Sa traduction
calque au plus près la dialectique et la réflexion, un échange aux
dialogues brillants où perce un humour typiquement britannique.
Mis en scène avec une grande subtilité, Samuel Labarthe et Isabelle
Carré restituent à merveille cet univers, exprimant leurs sentiments
avec sensualité. Elle, surtout, est rayonnante. Sa présence, toute
simple au début, prend peu à peu de l’ampleur pour devenir omniprésente,
presqu’envoûtante. Divine, est peut-être le mot venu aux
lèvres de David Lodge, présent ce soir-là dans la salle. Théâtre
Montparnasse 14e.
Retour
à l'index des pièces de théâtre
Fermez
cette fenêtre ou mettez-la en réduction pour revenir
à « Spectacles Sélection »
|