PEER GYNT
Article
publié dans la Lettre n° 369
du
26 mai 2014
PEER GYNT de Henrik Ibsen. Mise en
scène Christine Berg avec Moustafa Benaibout, Loïc Brabant, Céline
Chéenne, Vanessa Fonte, Antoine Philippot, Stephan Ramirez et les
musiciens Gabriel Philippot et Julien Lemoine.
Menteur, conteur facétieux, orphelin en butte aux quolibets, fanfaron
porté sur la bouteille et coureur de jupons, il court sans cesse.
Que fuit-il en réalité, sinon les aventures qu’il a lui-même puisées
dans les légendes de son immaturité native ? Malgré les exhortations
de sa mère, les malédictions d’Ingrid, l’amour inoxydable de Solveig.
Pour échapper à la pendaison que lui vaut le viol d’Ingrid, il abandonne,
la bouche pleine de serments, la douce Solveig et se lance, tête
baissée, dans la vindicte des trolls, dans les mirages d’un Orient
de fantasme, dans les artifices d’une fortune facile et si vite
perdue, dans les vagues du naufrage. Il croisera des créatures simiesques,
sera pris pour prophète, échouera lamentablement dans le monde des
aliénés. Seule réalité tangible, l’amour inconditionnel d’une mère
et d’une compagne désertée et retrouvée. De ces loyautés sans faille,
il ne prendra conscience que dans la mort de l’une et la consolation
ultime de l’autre. Au cours de ce vagabondage sans rémission, à
la poursuite d’un rêve tissé de mensonges, il croise l’énigmatique
Grand Courbe et le fondeur de boutons aux allures méphistophéliques.
Avant de percevoir qu’il n’est qu’un oignon, revêtu des innombrables
pelures de ses oripeaux successifs. A-t-il vécu tout cela ? A-t-il
été abusé par ses propres cauchemars ? S’est-il suffi à lui-même,
comme l’y engageaient les trolls ? S’est-il enfin trouvé ? Impossible
à dire.
A la gageure qui consiste à donner à voir la teneur protéiforme
d’une telle saga, la mise en scène répond par un dépouillement scénique
très inventif. Le rideau constamment sollicité distingue les univers,
le lit manifeste la vie, même violente, tout comme la mort et les
parcours fantomatiques, les murailles se répondent, les costumes
baroques et provocateurs agressent comiquement le regard. Et, au
centre de ces mondes irréductibles les uns aux autres, Peer Gynt
tourbillonne, s’essouffle et rejaillit, les hommes se font femmes,
les femmes gémissent, hurlent et ondulent, le Malin claudique de
ses souliers asymétriques, la cuiller grandit comiquement.
Dans ce maelström de rêves cyniques et de cauchemars truculents,
le spectateur se laisse entraîner, entre rire et frisson, victime
consentante d’une mystification joyeuse et sans repos. A.D. Cartoucherie
- Théâtre de la Tempête 12e.
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