PEDRO
ET LE COMMANDEUR
Article
publié dans la Lettre n° 264
PEDRO ET LE COMMANDEUR (Peribáñez y el
comendador de Ocaña) de Felix Lope De Vega. Texte français Florence
Delay. Mise en scène Omar Porras avec Catherine Salviat, Christian
Blanc, Coraly Zahonero, Laurent Stocker, Nicolas Lormeau, Laurent
Natrella, Christian Gonon, Elsa Lepoivre, Shahrokh Moshkin Ghalam,
Veronica Endo, Oriane Varak, Prune Beuchat.
Ocaña, petite ville de Castille, est en fête. Pedro Ibáñez, un riche
paysan, célèbre son mariage avec la belle Casilda. Mais pendant
que les deux amoureux déclinent leur amour au rythme des lettres
de l’alphabet, le commandeur don Fadrique est blessé par un taureau.
Lorsqu’il revient à lui, le beau visage de Casilda est penché sur
le sien. Il en tombe éperdument amoureux. Pour assouvir sa passion,
il comble le couple de cadeaux puis, profitant de l’absence de Pedro,
force la porte de Casilda qui repousse ses avances. En désespoir
de cause, il tente alors d’éloigner l’époux, nommant Pedro capitaine
de cent hommes destinés à partir en guerre contre les maures. Mais
Pedro, qui a découvert ses intentions, lui demande de l’armer chevalier
avant son départ, afin de pouvoir venger son honneur. Il revient
en secret et tue don Fadrique au moment où celui-ci va violenter
Casilda. Sans jamais s’être concertés, Pedro et Casilda ont agi
chacun de leur côté pour défendre leur honneur. Mais c’est ensemble
qu’ils iront devant la justice du roi.
Son ami Pérez de Montalbán attribuait 1 800 comedias et 400
autos, à cet auteur qualifié de monstre de la nature
par Cervantes. Près de 500 sont parvenus jusqu'à nous, certains
écrits en vingt-quatre heures, d’autres parfois même retouchés.
Mais Lope de Vega ne fut pas seulement l’auteur le plus fécond de
la littérature espagnole, il fut surtout l’initiateur d’un théâtre
nouveau qu’il définit lui-même dans son Art nouveau de faire
des comédies. Il se démarque du théâtre classique faisant fi
de la règle des trois unités, résume à trois les cinq actes habituels
et réserve pour le troisième un dénouement surprenant et généralement
heureux. Alors que les classiques distinguaient le drame et la comédie,
lui prône pour un mélange des genres. Dans les comedias d’histoire
et de légende, très prisées à l’époque, la comedia de l’honneur
est l’un des thèmes de prédilection. Mais si l’on attribuait généralement
le sentiment de l’honneur aux nobles, Lope de Vega innove en l’étendant
à celui des paysans. Il se sert aussi abondamment de l’amour pour
la monarchie, très présent dans le théâtre de l'époque. Dans les
conflits d’honneur paysan, c’est toujours la personne du roi qui
protège le paysan contre le noble qui l'a offensé. C’est pourquoi
l’auteur n’a pas placé l’intrigue à son époque, celle de l’Espagne
décadente du XVIIe, mais dans celle plus flatteuse de l’Espagne
brillante de la Reconquête. Lope de Vega se dit enfin partisan d’un
langage naturel. S’il opte pour les vers, il les ajuste aux situations,
utilisant une prosodie particulière pour chacune d'elles.
Peribáñez est l'un des meilleurs exemples de ce théâtre nouveau,
trois actes sans unités de lieu ni de temps, le voyage étant au
cœur de l’œuvre. Florence Delay parvient de façon sublime à jouer
avec la versification dont la diversité met si bien en relief les
sentiments des personnages ou les situations. Elle parvient aussi
à en traduire la richesse et la sensualité, l’abécédaire de l’amour
est à lui seul un bijou ciselé. La mise en scène d’Omar Porraz est
un coup de maître. L'auteur donnait plus d’importance au dynamisme
externe de l’action et à l’intrigue qu’à l’étude de l’âme des personnages.
En dotant ses comédiens de masques, il abonde dans ce sens. Quel
exercice pour ces derniers, tenus à une gymnastique du corps pour
suppléer à l’impassibilité du visage, seulement illuminé par les
regards! On admire le travail du décor, créé à mesure par les comédiens
et suggéré par des objets tout comme celui sur les personnages.
Le curé « gonflé » d’importance, les moissonneurs tout petits, au
bas de l’échelle sociale, le roi et la reine, d’abord inaccessibles
lors de la fête du 15 août à Tolède, puis plus proches dans la scène
finale du roi justicier. Une formidable réussite grâce au talent
de toute une troupe, unie dans l’art de la traduction, de la mise
en scène et de l’interprétation, mais aussi dans le choix de la
musique qui s'adapte à la perfection à chaque scène, des costumes
merveilleusement conçus dans les moindres détails, le tout éclairé
par les faisceaux judicieux des lumières. Du très grand art. Comédie
Française 1er.
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