LA
PEAU D'UN FRUIT
Article
publié dans la Lettre n° 251
LA PEAU D’UN FRUIT de Victor Haïm.
Mise en scène Anne Bourgeois avec Victor Haïm et Brock.
Qu'est-il ce guérillero en rupture de dictature, qui tient comme
une place forte ce piton rocheux ? Sa mise prête à rire, habillé
en belle de carnaval. Comment a-t-il pu en arriver là, lui qui avait
tous les pouvoirs ? Raoul est plein de bonnes idées. N’avait-il
pas imaginé des séances de torture préventives? Raoul est armé jusqu’aux
dents, bardé de grenades, de coutelas, de mitraillettes. Sa vie
est un long chemin borné de morts. Dans son refuge, ce terroriste
tout terrain, ce tyran intemporel et sans domicile fixe soliloque.
Il revoit dans son délire la tête de ses victimes.
Le sujet ne pourrait être que terrifiant et cauchemardesque s’il
n’était pas l’œuvre de Victor Haïm, l’un de nos plus grands auteurs.
La Peau d’un fruit fut créé en 1970 par Etienne Bierry. Repris
vingt ans après par Pierre Santini, Victor Haïm fut félicité de
l’avoir adapté à la conjecture des années quatre-vingt, alors qu’il
n’avait pas changé une ligne. En 2006, hélas, le monde n’a pas changé
et le texte est d’une cuisante et désespérante actualité et possède
la force lyrique et poétique propre à Victor Haïm. Anne Bourgeois
est une metteuse en scène aussi futée que talentueuse. Pour faire
le contrepoint à la paranoïa du terroriste encerclé, niché sur son
piton rocheux comme un oiseau de mauvaise augure, sur le piton voisin
niche un bruiteur. Raoul soliloque, il parle à un oiseau, il parle
à l’arbre dont les branches s’allongent comme par magie et porte
des fruits de cauchemar. L’arbre est animé par l’étonnant comédien
bruiteur Brock. Ce n’est pas un accessoiriste, ni un illustrateur,
c’est un partenaire à part entière. Brock est un bruiteur étonnant:
la nature bruissante, les bruits inquiétants prennent une épaisseur,
une touffeur palpables. Formidable de drôlerie, de présence, il
est un partenaire, un pendant poétique à cette œuvre déroutante.
Victor Haïm n’a plus rien à prouver. Il est formidable de voir ce
grand monsieur se remettre tous les soirs en danger. Anne Bourgeois
a su cerner l’indicible du texte, rassurer l’auteur, pousser le
comédien Haïm dans cette œuvre lyrique, burlesque et terrible. Théâtre
du Rond-Point 8e.
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