PARTAGE
DE MIDI
Article
publié dans la Lettre n° 270
PARTAGE DE MIDI de Paul Claudel. Mise
en scène Yves Beaunesne, scénographie Damien Caille-Perret avec
Éric Ruf, Christian Gonon, Marina Hands, Hervé Pierre.
Des cordages, une voile, forment le décor du paquebot qui emporte
ses passagers vers la Chine. A son bord, de Ciz, noble ruiné, part
avec sa femme Ysé et ses deux enfants vers un horizon oriental qu’il
souhaite plus clément que celui qu’il quitte, éclaboussé par la
faillite et le déshonneur. Mesa, revenu en France afin de « se présenter
à Dieu », n’a obtenu que le silence pour écho. Déçu, il repart pour
l’Asie accomplir sa fonction de consul. Amalric, l’aventurier, nourrit
quant à lui d’autres rêves: il part chercher fortune dans une plantation
de caoutchouc. Sur le pont, il reconnaît Ysé avec laquelle il a
eu une aventure dix ans plus tôt. Il croit pouvoir la cueillir dès
qu’il le souhaitera mais la pousse par jeu dans les bras de Mesa.
Pour celui-ci, taciturne et farouche, Ysé n’est qu’une « effrontée
coquette ». Cependant, entre Ysé et Mesa, naît une irrésistible
et réciproque fascination. A l’arrivée, Mesa quitte Ysé sur cette
promesse : «Ysé, je ne vous aimerai pas ». Ils se reverront pourtant,
quinze jours plus tard, dans l’ambiance lugubre d’un cimetière où
Ysé a donné rendez-vous à Mesa afin d’obtenir de lui un travail
pour son mari et éviter ainsi son départ, car elle ne veut pas rester
seule. Mais leur destin est scellé par le départ de de Ciz vers
l’intérieur de la Chine pour y « faire des affaires ». Fascinée
par l’amour qu’elle éprouve pour Mesa et furieuse de l’abandon de
son mari, Ysé se donne alors à Mesa, puis l’abandonne, rejoignant
Amalric avec l’enfant qu’elle a eu de Mesa. Une insurrection les
met une dernière fois en présence. De Ciz mort, Amalric rejeté,
Ysé et Mesa sont unis à jamais « dans la transfiguration de Midi
».
La création de Partage de Midi doit beaucoup à la vie et
au drame personnel de son auteur. Sa double rencontre en 1886 avec
Les Illuminations d’Arthur Rimbaud et celle avec sa Révélation
à Notre Dame, au soir de Noël, vont l’irradier et le métamorphoser.
Le poète rebelle lui insufflera la démesure, la violence et la poésie
qui tissent les répliques de ses œuvres, la Vierge Marie le guidera
pour toujours. En 1901, avant son départ pour la Chine, Paul Claudel
s’était rendu au monastère de Ligugé, prêt à embrasser la vie monastique.
On prit soin de lui faire comprendre son erreur et c’est ainsi qu’il
poursuivit sa vie errante de consul. Mesa porte en lui l’image de
son créateur, d’où son état spirituel au moment de sa rencontre
avec Ysé, cette rencontre, nœud initial du drame. C’est dans son
existence même que Claudel rencontra « l’interdiction», dans sa
passion pour Rosalie Vetch, une polonaise rencontrée sur un bateau
en partance pour la Chine, symbole de la femme fatale, interdite
mais aussi initiatrice, dont il aura un enfant. Ysé porte en elle
l’image de cette femme comme elle porte en elle le poids de la sœur
adorée, mais traîtresse, Camille: « tu es radieuse et splendide!
tu es belle comme le jeune Apollon », dira Mesa à Ysé, comme le
remarquera Claudel à la vue de la sculpture d’Apollon de Rodin,
dont les traits sont ceux de sa soeur. Se fourvoyer dans l’amour
conduit à sa perte. Mais Dieu est là pour sauver l’âme... Si intimement
liée à la vie personnelle de Claudel, cette oeuvre touchant de trop
près ses proches, ne fit l’objet que d’une publication confidentielle
en 1906 et d’une soirée théâtrale privée en 1916. Elle ne fut vraiment
connue du public, dans sa première version, qu’en 1948. C’est cette
version de 1905, empreinte de tout son lyrisme mystique et poétique
et de la spontanéité brute de son auteur, qu’Yves Beaunesne a choisi
de mettre en scène, travail d'une maîtrise absolue, en parfait accord
avec une remarquable scénographie et des décors très étudiés. Les
comédiens sont époustouflants. Hervé Pierre est un magnifique Amalric
pour ce premier rôle sur la scène de la Comédie-Française. Nous
avions déjà remarqué le talent de Christian Gonon, De Ciz très convaincant,
dans le rôle de Cassius dans Tête d’Or (Lettre 255).
Éric Ruf, Mesa, et Marina Hands, Ysé, lumineuse princesse dans Tête
d’Or, nous offrent une superbe interprétation de leur personnage
et une fin inoubliable. Comédie Française 1er. Lien
: www.comedie-francaise.fr.
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