PAROLE ET GUERISON

Article publié dans la Lettre n° 301


PAROLE ET GUÉRISON de Christopher Hampton. Adaptation et mise en scène Didier Long avec Barbara Schulz, Samuel Le Bihan, Bruno Abraham-Kremer, Léna Bréban, Alexandre Zambeaux, Candice Crosmary.
En août 1904, Carl Gustav Jung est le sous-directeur de l’hôpital de Burghölzli à Zurich. Sabina Spielrein, une jeune patiente russe de 19 ans, parlant couramment l’allemand, vient d’arriver dans son service. Totalement hystérique mais intelligente et cultivée, elle a tout pour plaire à ce jeune psychiatre de trente-quatre ans qui décide d’expérimenter avec elle la thérapie révolutionnaire, très récemment inventée par Sigmund Freud dont il admire le génie: la Psychanalyse. Cette cure analytique ou cure par la parole qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, enthousiasme Carl Jung qui patiemment traite sa malade qui se dit « sale, obscène et corrompue ». Il trouve la solution dans la sexualité de Sabina, la guérit mais en tombe éperdument amoureux.
Ses rencontres avec Freud, un voyage à New-York en sa compagnie forgent une amitié. Cependant, l’orientation exclusivement sexuelle revendiquée comme unique vérité par son mentor ne lui suffit pas. Il souhaite en élargir l’orientation en expérimentant les voies du spiritisme et de la symbolique religieuse ce que réfute Freud qui voit comme un « suicide professionnel » d’engager la psychanalyse dans les voies du mysticisme et de la superstition : « Notre discipline est déjà tellement attaquée de toutes parts, qu’il est dangereux de l’égarer […] dans le labyrinthe du mysticisme sous quelque forme que ce soit ». Mais si Sabina est la patiente de Jung, elle est aussi sa maîtresse. Cette liberté prise à l’égard de la cure analytique que Freud ne manque pas de lui reprocher le perturbe, la rupture est irrémédiable et douloureuse. Les divergences de pensée face à la psychanalyse entre Freud et lui vont aussi conduire à la scission de leur amitié, malgré les efforts de Sabina pour les réconcilier. Celle-ci deviendra à son tour médecin psychanalyste et se rapprochera de Freud.
Christopher Hampton connaît son sujet. Il a écrit cette pièce dans un souci d’authenticité, à partir des correspondances de Freud et Jung et du journal intime de Sabina Spielrein. Il rend vraisemblables les portraits de ses personnages, les circonstances de leurs rencontres, leurs propos et l’évolution de leurs relations sur neuf années. La pièce, construite autour des relations professionnelles et intimes des différents personnages est passionnante car on apprécie la clarté des points de vue divergents de Jung et Freud, tout comme la situation déroutante de Jung pris dans le dilemme de la liberté sexuelle qu’il s’est octroyée, entre une maîtresse à la forte personnalité et une épouse séduisante, fortunée, compréhensive et aimante qui lui conçoit des enfants avec une régularité de métronome.
La notoriété de Didier Long est aussi immense que le succès des œuvres qu’il a mises en scène. Parole de Guérison ne l’aura pas dérouté. Le début de la pièce ressemble beaucoup à la quête de l’identité par la psychanalyse développée dans Equus de Peter Sheffer qu’il avait magistralement mise en scène l’an dernier (Lettre 289). Avec Parole et guérison, il signe une adaptation rigoureuse et une mise en scène à la fois subtile et fluide dont le déroulement sans unité de lieu ou de temps ne lasse pas un instant. La naissance de la psychanalyse peut sembler un sujet ardu mais il est ici tout à fait accessible. L’explication de la persistance de Freud à penser que l’inconscient est tout et que tout est sexualité est particulièrement intéressante. Didier Long est soutenu dans sa tâche par des lumières subtiles et un décor très étudié car très mobile, évitant la lourdeur inhérente aux changements de lieux fréquents. Les comédiens, très à l’aise, sont fantastiques. Barbara Schulz et Samuel Le Bihan font tous les deux vivre leur personnage avec talent, chacun lui donnant l’épaisseur d’un corps mais aussi la sensibilité d’une âme. Théâtre Montparnasse 14e.


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