LA PARISIENNE
Article
publié dans la Lettre n° 317
LA PARISIENNE de Henry Becque. Mise
en scène Didier Long avec Barbara Schulz, Jérôme Kircher, Didier
Brice, Alexandre Guansé, Candice Crosmary.
« Ouvrez ce secrétaire et donnez-moi cette lettre ». Ce célèbre
alexandrin, première réplique de la pièce, surprend parce que celui
qui le prononce n’est pas celui auquel on s’attend. Repris plusieurs
fois au cours de la première scène, il annonce un thème qu’Henri
Becque va développer tout au long des scènes: le comportement de
la société bourgeoise de la fin du XIXe siècle et ses défauts.
A Paris, Clotilde Du Mesnil a un mari et des enfants mais rêve d’ascension
sociale et d’une aisance financière que son époux ne peut lui offrir.
Elle entretient une liaison avec Lafont, le meilleur ami de celui-ci.
Adolphe Du Mesnil brigue un poste qui lui procurerait une reconnaissance
sociale. Il compte beaucoup sur l’influence de son oncle et ses
relations pour qu’on le lui attribue mais c’est en définitive sa
femme qui lui permettra de l’obtenir en œuvrant dans l’ombre. Ses
tractations sont pourtant mises en péril par Lafont, amoureux jaloux
qui, la voyant s’éloigner de lui, ne cesse de la harceler au risque
d’ouvrir les yeux de Du Mesnil. Clotilde parviendra à ses fins tout
en convaincant intelligemment Adolphe de laisser courir le bruit
que le poste convoité lui fut bien assigné grâce à l’oncle et non
grâce à elle et pour cause : elle entretient une idylle avec le
fils de l’amie très influente qui a su mener sa requête à bien !
Le mari, la femme et l’amant, ce trio inhérent à maints vaudevilles,
Henri Becque n’en use pas de cette manière. Il lui sert en revanche
à décrire d’une plume acerbe et sans concession les travers de cette
bourgeoisie parisienne dont il fait partie, en quête d’ascension
sociale, n’hésitant pas à médire sur une relation ou à tromper un
ami pour y parvenir. La femme au statut inférieur dans cette société
misogyne se doit de rester au second plan. Elle est là pour se marier,
faire des enfants, tout juste bonne à jeter « un coup d’œil sur
les culottes de [ses] enfants » ou à se contenter d’un thé chez
une amie ou une vieille parente. Mais les hommes devraient savoir
que, de tout temps, les femmes ont su tirer leur épingle du jeu,
sachant enjôler, duper avec dextérité et sans bruit. Henri Becque
le donne à voir et n’épargne personne.
La mise en scène incisive de Didier Long, grâce aux scènes très
enlevées, exploite parfaitement le texte. Les comédiens sont dans
leur ensemble à leur affaire. Barbara Schulz est irrésistible en
jeune femme futile, dépensière et frivole mais rouée et bonne tacticienne
lorsqu’il le faut, menant amant et mari par le bout de nez ou par
le sexe, fatal talon d’Achille des hommes ! Elle ne sortira pas
indemne de ce chassé croisé mais saura panser sa blessure par l’orgueil
qui est aussi l’apanage du sexe dit faible. Le portrait des hommes
brossé par l’auteur n’est pas plus flatteur. Là aussi, les comédiens
jouent bien leur partie. Didier Brice, ombrageux Du Mesnil, exprime
avec talent le comportement de ce mari terne et égoïste, se plaignant
sans cesse et attendant tout des autres, incapable de considérer
sa femme autrement que comme une petite personne encombrante et
dépensière. Jérôme Kircher semble moins à l’aise dans le rôle plus
ingrat de l’amant transi et faible, amoureux certes, mais assez
inconscient pour être jaloux des relations d’une femme qui n’est
pas la sienne. Quant à Alexandre Guansé, sa présence est aussi marquante
que brève en jeune amant désinvolte et sans cervelle, archétype
de la jeunesse dorée de l’époque, vivant de la fortune familiale,
petite épine dans le cœur d’une Clotilde qui, bravement, saura s’en
remettre. Théâtre Montparnasse 14e.
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