LE PAQUET
Article
publié dans la Lettre n° 309
LE PAQUET de et mis en scène par Philippe
Claudel avec Gérard Jugnot.
Un banc et une poubelle sur un trottoir, une place ou un jardin
public, qu’importe. L’ homme qui fait son entrée, va en occuper
l’espace un moment. C’est un homme tout à fait ordinaire, vêtu d’un
par-dessus, d’une veste, d’un pantalon et d’une chemise qui ont
vécu des jours meilleurs. Il passerait complètement inaperçu s’il
n’était affligé par le poids d’un encombrant paquet qu’il traîne
puis adosse au banc avec beaucoup d’efforts, une sorte de tapis
enroulé dans une toile, ficelé à la diable et qui a la forme d’un
corps. L’homme est rubicond et la vie semble lui avoir souri. Tout
de suite, d’ailleurs, il rassure: « Je ne suis pas seul, ne croyez
pas cela, j’ai beaucoup d’amis ». Dans la cour de l’école, à l’armée,
au travail, il a toujours attiré tous les regards et toutes les
amitiés. Son métier de garagiste ne lui pèse aucunement. Grand
réparateur frontalier, il mène une vie d’homme d’affaires international,
jonglant avec le temps et les décalages horaires, les avions et
les hôtels quatre étoiles. Sa vie serait parfaite si sa femme était
encore de ce monde, s’il n’avait pas dû aller reconnaître, un jour
à la morgue, le corps broyé de son ami Maurice et même s’il n’était
pas seulement entouré que de gens intelligents. Il faut se rendre
à l’évidence: le monde est aussi peuplé d’imbéciles et ceux-ci,
d’après lui, « sont des grands trous noirs dans lequel on peut plonger
avec délice ». Eh oui ! Bernard, c’est son prénom, est un grand
philosophe, il nous fait part de ses réflexions. Cependant petit
à petit, la carapace de cet entrain, de cet apparent bonheur se
fissure, s’effrite et laisse peu à peu deviner la face cachée du
même homme, hanté par une pensée et une petite phrase lue dans une
rame de métro et dont il ignore la fin : « chaque homme mérite ce
qu’il a : le riche, sa fortune, le pauvre son…».
Avec Le paquet, on reconnaît bien l’écriture singulière de
l’auteur des Âmes grises ou du Rapport Broadeck, entre autres, des
mots et des phrases couchées sur le papier qui prennent le lecteur
en otage dès les premières lignes pour seulement le laisser s’échapper
longtemps après en avoir lu les dernières. Comme le public qui hésite
un certain temps à applaudir après la dernière réplique, le lecteur
demeure longtemps avec les derniers mots du roman sans parvenir
à le refermer, un peu comme un boxeur sonné par un K.O. Ici, la
mise en scène de l’auteur lui-même est d’une intense sensibilité
tout comme l’interprétation de Gérard Jugnot. En monologuant, Bernard
retire son par-dessus, puis sa veste, pour laisser apparaître une
chemise tachée, un maillot de corps troué. Couche après couche,
tel un oignon, il déshabille son corps comme il « déshabille » son
âme, entravé par ce paquet, pire qu’une croix, qu’il souhaiterait
nous confier ne serait-ce que quelques instants pour souffler, pour
oublier. Gérard Jugnot, époustouflant, passe en un clin d’œil par
tous les états d’âme, arpente les quelques mètres de scène, soliloque,
traînant son fardeau, puis disparaît avec lui, mais insidieusement,
il nous en laisse diaboliquement le contenu. Petit Théâtre de
Paris 9e.
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