OSSYANE

Article publié dans la Lettre n° 329
du 19 septembre 2011


OSSYANE d’après Amin Maalouf. Mise en scène Grégoire Cuvier avec Christine Braconnier, Jean-Marc Charrier, Christophe Chêne-Cailleteau, Olivier Cherki, Audrey Louis, Yvon Martin, Stéphane Temkine.
Sur le plateau vide, un homme marche en silence, presque en titubant, un surtitrage annonce « Quai de l’Horloge, Paris ». Début ou fin d’une errance ? Le rideau qui se lève matérialise l’anamnèse, la fin de la pièce retrouvera en effet l’homme et le lieu.
Décor dépouillé, deux espaces délimités par des panneaux à mi-hauteur derrière lesquels on entrevoit chaises, tables, accessoires, où se glisseront alternativement les personnages pour de rapides changements de costumes et de rôles. Le devant de la scène, presque vide, concrétise l’espace de la mémoire, du flot des générations qui se succèdent, d’un flux de vies qui n’ont pas repris souffle depuis la grand-mère dont la raison chancelante a définitivement sombré dans le gouffre du génocide arménien. Son fils, le Père, patriarche généreux, a assumé à Beyrouth cet héritage d’errances et de fragiles migrations, affirmant face au monde embrasé des haines proche-orientales, son amour paternel et son refus des racismes de tout poil. Si sa fille Iffet a choisi un époux musulman au Caire, si le fils cadet Salem a les dents longues et le cœur violent, au centre évolue la figure d’Ossyane autrement nommé Bakou, le sage, l’intelligent, qui rejoint Montpellier et les études de médecine. L’Histoire l’y rattrape, il sera résistant contre l’envahisseur nazi. Il croise la route amoureuse de Clara la Juive, qui elle aussi a échappé au massacre familial. Une fois encore l’impitoyable Histoire, celle de la Palestine et des combats de 1948, broiera Ossyane, jusqu’à venir à bout de sa raison. S’en suivent trente années de souffrance psychiatrique, d’internement hermétique, mais les ténèbres de la folie parfois se déchirent et s’illuminent de la survenue de Nadia, la fille qu’il attendait contre les vents et marées de la désespérance. Alors, le Quai de l’Horloge…
Haines, folie, comment survivre à cette noria des horreurs que la démence du monde concocte pour annihiler les innocences et les espoirs fragiles?
Amin Maalouf s’était interrogé, dans Les Identités meurtrières, sur les vivifiants brassages géographiques, ethniques et linguistiques. Son profond humanisme, ici dans cette pièce tirée de son roman Les Echelles du Levant, trace le cheminement douloureux mais incoercible d’un homme que le destin individuel et collectif aurait pu déchirer, mais que l’amour têtu et salvateur transcende.
De ce texte magnifique, la mise en scène, nerveuse et rythmée, donne à voir l’odyssée sans répit, mais finalement pleine d’espoir, dans le prisme de la saga familiale, d’un homme dans la puissance même souterraine de sa dignité.
Autour d’Olivier Cherki, Ossyane torturé et bouleversant, évoluent ses six compagnons de jeu, aux rôles alternés, vivants et douloureux, clairs et troubles, violents et pacifiques. Absolument convaincants.
Une belle leçon d’humanité et de paix… Théâtre 13/Jardin 13e. A.D.


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