ORGIE

Article publié dans la Lettre n° 265


ORGIE de Pier Paolo Pasolini. Texte français de Danièle Sallenave. Mise en scène Marcel Bozonnet avec Cécile Brune, Lucile Arché, Alain Fromager.
Antre noire et presque entièrement vide, la scène paraît immense. Quelques objets épars, un lit, une table seront apportés ou retirés à mesure. Seul compte le déplacement des personnages dans ce vaste espace, et bien sûr, ce qu’ils se disent et ce qu’ils font. Une voix se fait entendre, celle d’un homme qui vient de se pendre. Il se présente: « Je suis mort depuis peu, mon corps pend à une corde ». Puis il raconte les événements qui ont précédé son acte. « Cet homme pendu a été, comme tous les autres, libre et indépendant. En homme normal, il a essayé de vivre sa part ».
L’après-midi de Pâques, un couple survient à bicyclette. L'homme et la femme se retrouvent et passent la nuit ensemble. Leur étreinte, faite d’une violence verbale et physique continue, tient autant du sadisme que du masochisme. A l’aube, « ils sont apaisés mais le désir de violer et d’être violée reviendra ». Plus tard, à la fin du printemps, nous les retrouvons. C’est le soir. La femme est assise sur le lit. L’homme est debout, seulement vêtu d’un slip. Il s’étend sur le lit. Il semble malade et finit par s’endormir. Elle, dans une sorte de rêve éveillé, décide de tuer ses deux enfants avant de se noyer. Vêtue d’une longue robe mauve drapée à la grecque, elle a tout d’une Médée à l’impavide détermination. Au début de l’automne, l’homme amène chez lui une jeune fille. Elle ôte son manteau puis le reste. Elle est tendre comme une rose fraîchement cueillie. La violence de l’homme à son égard est extrême, il semble vouloir la tuer. Mais il est pris d’un malaise, la jeune fille parvient alors à s’enfuir. A peine remis, il se pend. La boucle est bouclée.
A l’origine, Pier Paolo Pasolini n’avait pas encadré Orgie du prologue et de l’épilogue. Il les a rajoutés par la suite, divisant ainsi son oeuvre en cinq épisodes, à la manière d’une tragédie grecque. Il raconte l’histoire d’un couple pris dans la fureur de l’amour, à la fin des années soixante, époque révolue où chacun affirmait sa volonté de briser les tabous et d’être libre. Lorsqu’il crée lui-même cette pièce en 1968, il est au somment de son art, exploitant ses multiples talents de poète, de cinéaste et de romancier. Personnalité dérangeante, le mystère qui entoure encore aujourd’hui son assassinat, perpétré sur la plage d’Ostie en 1975, est à l’image de la réputation sulfureuse qui précédait ses pas et marqua son nom.
Quelle mise en scène et quelle interprétation! Comment parvenir à captiver un public avec ce texte cru, scabreux, sans choquer? Comment exprimer la violence de l’affrontement physique et verbal avec une telle force? Comment s' offrir nu aux regards sans que cette nudité ne soit jamais indécente, voire obscène? C’est le tour de force que parvient à réaliser Marcel Bozonnet, grâce à une mise en scène parfois impudique mais toujours maîtrisée, et celui que réalisent ses trois comédiens qui ne franchissent jamais les limites de l’inconvenance. Grâce à la remarquable scénographie, il nous est donné d’admirer le formidable métier de Cécile Brune et de saluer l’excellente performance d’Alain Fromager. Quant à Lucile Arché, en deux scènes superbes, elle fait déjà preuve d’un excellent métier. Son charmant ballet sous une pluie de feuilles d’automne, puis la lutte de son jeune corps nu, presque encore adolescent, face à son bourreau, feront date. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


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