L'ORDINAIRE

Article publié dans la Lettre n° 296


L’ORDINAIRE de Michel Vinaver. Mise en scène Michel Vinaver et Gilone Brun avec Sylvia Bergé, Jean-Baptiste Malartre, Elsa Le Poivre, Christian Gonon, Nicolas Lormeau, Léonie Simaga, Grégory Gadebois, Pierre Louis-Calixte, Gilles David, Priscilla Bescond, Gilles Janeyrand.
Le jet privé de la multinationale Housie, spécialiste américain des logements préfabriqués bon marché, survole les Andes en direction de Santiago du Chili. A son bord, outre Bill et Jim, les pilote et co-pilote, Bob, le président de la firme et sa femme Bess, ses quatre vice-présidents : Ed, Dick, Jack, accompagné de Sue sa maîtresse, Jo accompagné de sa fille Nan, Pat, enfin, la secrétaire de Bob et maîtresse de Ed. Bob s’apprête à rencontrer Augusto Pinochet afin de conclure un marché particulièrement juteux pour Housie. Le dictateur veut raser les deux tiers de Santiago afin de construire un housie à la place de chaque taudis et il consent des avantages très intéressants. Mais La Cordillère des Andes est aussi somptueuse que dangereuse. Malgré ses nombreuses heures de vol, Bill ne parviendra jamais à Santiago. L’avion s’écrase, il ne survit pas au choc. Jim agonise près des restes de l’avion. Joe a été éjecté. Sa fille, horrifiée, l’a vu disparaître dans le vide. Pat, blessée aux jambes, ne peut plus marcher et Dick a une barre de fer enfoncée dans le ventre. Très vite les huit rescapés font face. Ils retrouvent le corps de Joe. « Cela ne m’arrange pas pour Joe, je comptais sur lui », confie Bob. Cette réflexion donne le ton de leur état d’esprit. Ils sont là, en sursis, perdus sur l’un des toits du monde, mais pas un seul instant de panique. Ils s’organisent et poursuivent même leurs projets d’avenir. Le recensement des vivres est vite fait, de quoi tenir quelques jours pas davantage. La question de survie se pose d’elle-même. Pat pense la première : « Les morts, cela doit pouvoir se manger ». Stupeur, horreur ou silence des autres. L’idée pourtant fait son chemin. C’est Sue qui saute le pas : « Ce n’est plus suffisant, ni pour les uns ni pour les autres, il faut ajouter quelques tranches de viande… Je les ai coupées cette nuit ». Archéologue sauvage au Mexique, elle en a vu d’autres. C’est elle aussi qui abrègera les souffrances de Jim . Un transistor les informe que le Chili abandonne les recherches puis que le gouvernement de Reagan a décidé de les poursuivre. Ils apprennent aussi qu’un groupe de guérilleros les recherchent afin de servir leur cause. Au fil des quarante-deux jours qu’ils vont vivre, arrachés soudain à leur milieu, ces survivants aux origines diverses qui s’étaient côtoyés dans la vie quotidienne, sont confrontés au pire, sans autre solution que de « faire comme si », s’adapter ou mourir.
Michel Vinaver s’est inspiré d’un fait divers tristement célèbre survenu en 1972, pour écrire l’Ordinaire en 1981. Avant de se consacrer à l’écriture, il a occupé des fonctions de PDG de filiales dans plusieurs pays d’Europe. Autant dire qu’il connaît bien le fonctionnement de l’entreprise de ces années-là. Il situe d’ailleurs l’intrigue en 1981, une période de l’histoire tragique pour des pays comme le Chili ou l’Argentine, soumis aux dictatures de Pinochet, pour l’un et de Videla et Viola pour l’autre. C’est ce contexte qui fait la force de la pièce. En deux heures quarante, l’auteur nous brosse un portrait sans concessions du monde impitoyable d’une multinationale mais aussi du contexte politique dont profite les dirigeants, tout en décrivant avec réalisme les réactions des personnages selon leur origine et leur éducation. La mise en scène minutieuse et sobre dirige avec force les comédiens accrochés à une esplanade inclinée, vide et grise qui mange les premiers rangs d’orchestre. Ils se parlent et s’affairent à leur survie, vident leur sac mais s’adaptent coûte que coûte, finissant par se rendre à certaines évidences qui leur auraient fait horreur quelques semaines plus tôt. « Nécessité fait loi ». Tous endossent leur costume comme ils adoptent ce dicton, avec un formidable talent, et passionnent sans faiblir jusqu’à la dernière réplique du plus coriace: « Donnons l’assaut. Mettez vos pas dans mes pas ! ». Comédie Française 1er.


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