OPUS
COEUR
Article
publié dans la Lettre n° 260
OPUS CŒUR de Israël Horowitz. Adaptation
Attica Guedj et Stéphan Meldegg. Mise en scène Stéphan Meldegg avec
Pierre Vaneck, Astrid Veillon.
C’est l’hiver et il neige sur Gloucester, petite ville de la Nouvelle
Angleterre. Dans la maison de bois blottie sous la neige, la radio
locale émet un concerto, puis la voix de Byron Weld, le vieil animateur
atypique, s’élève… pour lancer un appel à l’aide financier ! Grâce
à un beau décor très élaboré, Stéphanie Jarre nous transporte d’un
coup dans une vraie maison américaine avec étage. Elle met aussi
en relief, par le nombre d’objets et de meubles hétéroclites, le
demi siècle de vie de son propriétaire. Jacob Brackish y a vécu
toute son enfance et y termine sa vie. Agé de quatre-vingts ans,
il n’a plus que quelques mois à vivre. Aussi a-t-il trouvé plus
sage de s’attacher les services d’une aide-ménagère. Kathleen Hogan
se présente. La quarantaine, elle est veuve et les conditions que
lui présente Jacob lui conviennent. Nettoyer, laver, ranger, cuisiner,
repasser « ça lui va ». Même la musique classique omniprésente,
qu’il écoute grâce à un sonotone, ne semble pas la déranger. Ancien
professeur de littérature et musicologue à l’université, Jacob a
vu défiler dans sa classe des générations d’étudiants. Il a le plus
souvent méprisé ses élèves, leur barrant la route du succès par
des notes trop sévères, les condamnant sans le savoir à la médiocrité.
Au fil des saisons, la cohabitation entre ces deux êtres qu’un monde
social et intellectuel sépare, ne va pas aller sans heurt. Si Jacob
a oublié, Kathleen, elle, a tout gardé en mémoire…
Opus Coeur remémore bien sûr Quelque part dans cette vie,
même pièce d’Israel Horovitz mais au titre différent, jouée par
Sonia Vollereaux et Jacques Dudhlo (Lettre 92), et surtout
par Jane Birkin et Pierre Dux (Lettre 33), dont le jeu était
particulièrement émouvant. La mise en scène intimiste de Stéphan
Meldegg embrasse d’un coup l’existence laborieuse et morne de la
petite ville où la vie s’écoule saison après saison, paisible en
apparence. Mais sous des dehors énergiques et philosophes et son
parler populaire, Kathleen cache une blessure profonde. Elle est
là pour la panser mais aussi pour régler ses comptes. Ce rôle sied
à merveille à Astrid Veillon qui joue à l’instinct ce personnage
complexe malmené par la vie. Face à elle, Pierre Vaneck campe un
Jacob sobre, renfermé dans sa coquille de bernard-l’hermite égoïste
et intello, mais dont l’aveu : « C’est la pire chose au monde, Kathleen,
de survivre à ceux qu’on aime », laisse souçonner un cœur. L’un
et l’autre savent exploiter la violence de leur personnage qui cache
tout de même un peu d’humanité, mais il leur manque un soupçon d’émotion.
Théâtre Hébertot 17e (01.43.87.23.23).
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