ONCLE VANIA

Article publié dans la Lettre n° 308


ONCLE VANIA d’Anton Tchekhov. Traduction Arthur Adamov. Dramaturgie François Bourgeat. Mise en scène Marcel Maréchal et Michel Demiautte avec Olga Abrego, Jacques Angéniol, Antony Cochin, Emmanuel Dechartre, Michel Demiautte, Juliette Duval, Liana Fulga, Marcel Maréchal, Hélène Roussel.
C’est la plus dense des pièces de Tchekhov, celle où l’expérience du médecin rejoint celle de l’écologiste avant l’heure, où le dramaturge, à l’instar de son personnage, le médecin Mikhaïl Lvovitch Astrov, jette un regard lucide sur ses contemporains, sur la déliquescence de sa vieille Russie, qui lentement s’écroule. Décline aussi le domaine dont s’occupent depuis des lustres, Ivan Petrovitch Voïnitski, oncle Vania, et Sofia Alexandrovna, sa nièce Sonia, afin d’envoyer une pension imméritée à Vladimir Alexandre Sérébriakov, premier mari de feu la sœur de Vania et père de Sonia. Durant toutes ces années, ils n’ont pas ménagé leur peine pour faire fructifier un domaine dont ils lui envoient les maigres fruits, ne gardant que le strict minimum pour leur propre subsistance. L’ingrat, flanqué de Éléna Andréievna, sa deuxième et éblouissante épouse, vient d’arriver, bien décidé à rester, faute de moyens suffisants pour continuer de vivre en ville. Son installation bouleverse le train-train quotidien de Marina, la vieille nourrice, dont l’ouvrage au tricot est le prolongement d’elle-même et qui garde toujours chaude l’eau du samovar, dans l’attente de servir l’hypothétique tasse de thé, comme il bouleverse le rythme du labeur quotidien de Sonia et de Vania. Pourtant, Maria Vassilievna Voïnitskaïa, belle-mère aveuglée par ce gendre à la retraite que son ancienne profession flatte, semble être heureuse de ces retrouvailles, tandis que Voïnitski et Astrov, dont Sonia est très amoureuse, sont loin d’être insensibles aux charmes d’Élena.
François Bourgeat, Marcel Maréchal et Michel Demiautte ont exécuté un remarquable travail, à partir de la traduction de 1958 d’Arthur Adamov, qui restitue au plus près l’univers tchekhovien, celui d’une savante et paradoxale alchimie: l’épuisement et le découragement dus à un labeur intense puis le désoeuvrement soudain des journées qui s’étirent dans la chaleur de l’été, mêlés à une sorte d’insouciance légère, ponctuée par la musique et marquée par l’entrain de certaines scènes. Le décor, quant à lui, reflète bien la précarité d’une datcha en passe de s’écrouler: une grande table, quelques chaises, un fauteuil à bascule, une palissade en bois en guise de mur, où s’encadrent deux portes dont l’une donne sur la verdure d’un jardin. Tout au long des journées étouffantes, des soirées qui s’étirent et des nuits sans sommeil, les personnages ont un double visage. Ils déambulent, se côtoient et se heurtent, pauvres hères en proie à leur vanité, leur désespoir, leurs désillusions, leur jalousie ou bien blaguent, rient, papotent au son de la musique, jusqu’à l’orage final qui éclatera au début de l’automne lorsque Sérébriakov évoquera son projet de vendre le domaine pour mener grand train à Moscou.
La distribution est un coup de maître. Olga Abrego, opulente Marina, et Liana Fulga, Élena sensuelle, donnent à leur personnage l’authenticité que leur confèrent leurs origines, face à Michel Demiautte, vaniteux Sérébriakov, Hélène Roussel, inconsciente Maria Vassilievna Voïnitskaïa, Marcel Maréchal, Vania pathétique, épuisé par les taches mais prêt à rire, à se fâcher ou à cueillir romantiquement des roses, maladroit dans les derniers feux d’un improbable béguin, Emmanuel Dechartre, superbe Astrov, médecin désabusé mais encore capable de s’enflammer pour ses forêts, soupirant risible, noyant ses illusions perdues dans l’alcool ou encore Jacques Angéniol, excellent Téléguine, propriétaire foncier ruiné et pique-assiette sans vergogne. Juliette Duval enfin. Elle est une merveilleuse Sonia dont l’ineffable bonté est un rempart contre le désespoir et une arme pour sa foi en un avenir rayonnant où elle se reposera enfin. Elle donne à l’ultime et sublime monologue toute l’émotion attendue. Théâtre 14 J.-M. Serreau 14e.
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