OBLOMOV

Article publié dans la Lettre n° 355
du 27 mai 2013


OBLOMOV d’Ivan Alexandrovitch Gontcharov. Traduction André Markowicz. Adaptation et mise en scène Volodia Serre avec Yves Gasc, Céline Samie, Guillaume Gallienne, Nicolas Lormeau, Marie-Sophie Ferdane, Sébastien Pouderoux.
De quoi souffre exactement Ilia Ilitch Oblomov ? De paresse, de langueur ou plus subtilement de résistance qui tue dans l’œuf toute velléité de sa part de vivre au rythme dicté par la société qui l’entoure ? Allongé sur sa méridienne, il dort, de temps en temps réveillé par Zakhar, son vieux domestique, désespéré de voir tant d’indolence alors que s’accumulent les lettres inquiétantes du régisseur du domaine d’Oblomovka et les demandes insistantes du propriétaire désireux de récupérer le logis qu’ils occupent. Invariablement assoupi, il « oublie » de manger, de s’habiller, de sortir, pour plonger dans son rêve, ce rêve récurrent où il retrouve intacts les souvenirs du cher domaine, paradis perdu de son enfance, matrice douillette empreinte de la tendresse d’une mère depuis longtemps disparue et des douces promenades d’antan. Il fut un temps où il travaillait. Son ami Ivan Alexeïevitch lui remémore le bureau où il se rendait chaque jour et où il adressa un jour une lettre qui l’écarta définitivement du monde actif. Cette léthargie, Oblomov la constate. Il songerait presque à y renoncer, mais pourquoi devrait-il participer à cette course perpétuelle imposée par la vie ? Il pense alors à son cher ami Andreï Ivanovitch Stolz. « Ah, si seulement Stolz pouvait rentrer ! », cet ami d’enfance si vif, si entreprenant… Blotti dans le creux de sa méridienne, il tente un lever, l’écriture d’une lettre qu’il remet au lendemain, puis s’allonge de nouveau, bercé par l’ouverture du même opéra, inlassablement écoutée. Stolz revient. Souffle alors une frénésie d’entreprendre, de moderniser, qu’il tente vainement de communiquer à son ami. Il lui présente Olga. Chantant pour lui Casta Diva, la jeune femme l’ensorcelle. C’est l’éblouissement. L’amour enfin, comme remède, l’étourdit. La passion partagée, libératrice de ses entraves, le tente. Il renonce à rejoindre Stolz qui, reparti, l’attend à Paris. Ivan lui propose alors de s’installer chez sa cousine Agafia. Entre l’amour que lui offre Olga avec peut-être à plus ou moins long terme les affres d’une déception ou d’une souffrance, et le confort ouaté du douillet sarcophage proposé par Agafia, femme mais surtout mère, Oblomov renonce définitivement à s’adonner à l’insatiable activité des hommes et choisit la quiétude d’un repos éternel.
Ivan Alexandrovitch Gontcharov est un des fondateurs du roman réaliste russe. Oblomov brosse une satire de la noblesse de la fin du XIXe siècle dont André Markowicz dépeint très bien l’ambiance, celle d’une Russie à la charnière entre deux époques, illustrée, entre autres, par l’opposition entre Oblomov, l’homme du passé et Stolz, celui de l’avenir.
La mise en scène rythme en trois phases trois périodes de la vie de cet antihéros et donne à voir les différents états d’esprit d’un être qui finit par ignorer définitivement l’agitation de la vie pour se livrer à l’oblomovisme, cette « profonde paresse mêlée de mélancolie », terme si bien imagé, inventé par Stolz et qui passera dans le langage courant.
La pièce pose la question du bien-fondé du choix d’Oblomov, interrogation que formule Olga à la fin, elle qui a décidé de vivre pleinement en épousant Andreï mais qui finit par réfléchir sur la légitimité de son choix: « C’est cela la vie ? », « C’est cela le bonheur? », « Qu’est-ce qu’il y a après ? ».
La méridienne, oh combien indispensable, un succédané d’arbre, quelques prises de vue pour pénétrer dans le rêve d’Oblomov suffisent à éclairer ce texte débordant d’humour, de fantaisie et de gravité. Guillaume Gallienne se glisse avec bonheur dans ce personnage qui lui sied à ravir, vieil adolescent attardé, résistant aux assauts de son ami Stolz, Sébastien Pouderoux tout en force, ou morigénant Zakhar, serviteur chenu, bougon mais finalement philosophe, rôle dont Yves Gasc s’empare diablement bien. Marie-Sophie Ferdane use de ses multiples talents pour incarner la femme de ce couple improbable qu’elle forme avec Oblomov. Céline Samie, Agafia, et Nicolas Lormeau, Ivan sont, entre tous ces personnages, le lien subtil et efficace. Théâtre du Vieux-Colombier 6e.


Retour à l'index des pièces de théâtre

Fermez cette fenêtre ou mettez-la en réduction pour revenir à « Spectacles Sélection »