NUREMBERG, LA FIN DE GOERING
Article
publié dans la Lettre n° 336
du
6 février 2012
NUREMBERG, LA FIN DE GOERING de Arnaud
Denis. Mise en scène Arnaud Denis avec Götz Burger, Jean-Pierre
Leroux, Raphaëlle Cambray, Arnaud Denis ou David Zeboulon, Jonathan
Max-Bernard.
Il sera un grand homme ou un assassin, disait de lui sa propre
mère. Etonnante prémonition, quand on connaît la carrière brillante
et les crimes du nazi Hermann Goering de sinistre mémoire. De ces
abominations et du procès qui les sanctionna en 1946, on croit tout
avoir lu, vu, entendu. Et pourtant, l’émotion est toujours aussi
vive à l’énoncé de cette kyrielle d’horreurs inimaginables, surtout
lorsque la figure du monstre se manifeste en chair et en os devant
le spectateur. Un Goering aussi matois qu’obèse, jouant la star
devant des journalistes dont les questions même violentes semblent
à peine le désarçonner. Un Goering qui ne fait qu’une bouchée d’un
petit lieutenant américain préposé à sa garde. Comment en effet
Wheelis résisterait-il à ce roué pervers dans l’intimité croissante
de la cellule ? Comment ne pas se faire le complice, peut-être involontaire,
de l’ultime foucade d’un homme machiavélique, capable de tenir tête
au procureur lui-même ?
Jean-Pierre Leroux confère une intense présence à cet Américain
Jackson, soulevé de vagues d’indignation et d’émotion. Götz Burger
campe admirablement un Goering tout en rouerie, bien près de manipuler
aussi bien le tribunal et la presse par les rires qu’il suscite,
que le psychiatre par les allusions nauséeuses à sa judéité. Seule
à le déconcerter, au-delà de l’émotion qui la submerge, Marie-Claude
Vaillant-Couturier lui oppose la dignité sans emphase d’un témoignage
qui ne vacille pas. Raphaêlle Cambray lui prête son jeu tout en
finesse et retenue, vraiment bouleversant. En allers-retours multiples
entre sa cellule et le lieu d’un procès auquel il semble assister
en visiteur peu concerné, voire amusé, Goering se dédouane des atrocités
dont il fut l’artisan, en rejetant la faute sur les morts, les âmes
damnées, Hitler ou Himmler. Je ne pouvais pas tout savoir, je
ne m’occupais pas des détails... Goering était-il simplement
fou, diabolique, drogué, comme ses sinistres comparses ? Une réponse
si réductrice ferait dangereusement le lit de cette hydre constamment
récurrente. Nuremberg se voulut le lieu du Dit contre l’indicible,
de la Loi, de l’Humanité contre la barbarie, pour des condamnations
qui, en regard de l’innommable, peuvent paraître dérisoires, mais
ô combien nécessaires à la dignité humaine recouvrée.
Cette fresque de la solution finale, entre fiction et évocation
d’archives, fait d’autant plus froid dans le dos qu’elle est dite
et jouée dans le dépouillement de l’espace scénique et la simplicité
confondante des mots. Force reste au Théâtre dans son rôle d’énonciation
et de dénonciation, d’appel sans faille à la lucidité des témoignages,
à l’évidence de la parole et à la conscience de ceux qui la disent
et l’écoutent. Une belle leçon de santé historique et mentale. Vingtième
Théâtre 20e. A.D.
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