NOUS QUI SOMMES CENT
Article
publié exclusivement sur Internet avec la Lettre n°392
du
8 février 2016
NOUS QUI SOMMES CENT de Jonas Hassen Khemiri. Mise en scène Laura Perrotte avec Caroline Monnier, Laura Perrotte, Isabelle Seleskovitch.
Qui sont ces trois fausses gamines en robe infantile ? Qui est ce nous à trois têtes, trois corps, trois voix, dont les coutures craquent et se recousent maladroitement, dans les rires et les larmes, dans les suicides avortés, dans les tiraillements entre personnalités si hétéroclites ? Car c’est bien un écartèlement qu’il est donné à voir, entre un nous si singulier et un singulier qui assume mal son pluriel.
Elle, - s’il n’y en avait qu’une -, serait peut-être cette épouse sans envergure, mère au foyer contrainte, femme frustrée au bord de l’amuissement volontaire. Mais, en elle, se réveillent sans pitié ses intransigeantes comparses de vie, ses deux autres elle, celle qui refuse de grandir en renonçant aux rébellions de jeunesse, ou celle qui joue la moitié pleine du vase vital. Comment vivre en harmonie, quand les velléités de réalisation personnelle, intellectuelle, professionnelle, se soldent par la disparition de l’identité conjugale et maternelle ? Comblerait-on ce vide par le démon tentateur des désirs immatures ? Trois visages, cent facettes.
La scène se fait, tour à tour, jetée de vertige, chambre de l’intime enfantin, podium de défilé en robe de star, estrade de l’échec cuisant d’une conférence. Le rythme y est trépidant, zébré de fulgurances et d’obscurités, les trois nous s’y affrontent sans répit ni soulagement. Les trois actrices, avec efficacité et originalité, s’y enlacent, heurtent, consolent, et la complicité de leur(s) jeu(x) est manifeste.
La déconcertation initiale fait place progressivement à une fascination à laquelle nul public ne saurait résister, parce qu’elle touche les ressorts les plus intimes, avoués ou peureusement niés, de la personnalité de chacun.
Et les trois jeunes femmes dansent, chantent, chahutent tout en les soulageant nos frilosités et nos médiocrités, nos atermoiements bravaches et nos apaisements de courte durée. Les hypocrisies volent en éclats…de dérision, de lucidité, et aussi de rire. Grâces soient rendues à cet exercice de santé mentale et théâtrale par la distanciation et surtout l’humour. A.D. Manufacture des Abbesses 18e.
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