LA NOCE
Article
publié dans la Lettre n° 333
du
5 décembre 2011
LA NOCE de Bertolt Brecht. Traduction
Magali Rigaill. Mise en scène Isabel Osthues avec Véronique Vella,
Cécile Brune, Sylvia Bergé, Laurent Natrella, Marie-Sophie Ferdane,
Stéphane Varupenne, Nâzim Boudjenah, Félicien Juttner, Elliot Jenicot.
L’intérieur du logis est tout en bois, du sol au plafond. Durant
les cinq derniers mois, le fiancé a fabriqué un à un tous les meubles,
armoire et méridienne comprises. Sa fierté fait plaisir à voir,
celle de sa promise aussi. Et pourtant, elle aurait bien voulu avancer
la date du mariage. Mais voyez, « avec des meubles bien à soi, on
sait ce que l’on a ». C’est le grand jour, les invités se pressent:
le père, la sœur et une amie de la mariée flanquée de son époux,
la mère du marié et son meilleur ami. Tout le monde embrasse tout
le monde. La photo immortalise le grand moment. Le marié fait les
honneurs des lieux. Le père a bien un lit à leur donner, celui où
est mort le grand-oncle, mais bon, il n’insiste pas… On dresse la
table puis l’on s’assoit. Le festin commence. Le cabillaud dont
ils se régalent rappelle une anecdote au père de la mariée qui se
recroqueville : elle les connaît les bonnes histoires paternelles
et préfèrerait qu’il se taise. Le copain empoigne sa guitare et
se met à chanter. Là aussi les paroles… Mais l’ambiance peu à peu
se détend. On trinque, le vin coule à flot et monte un peu à la
tête. Vin gai ou vin méchant, les langues se délient. Aux blagues
croustillantes, aux chansons trop lestes succèdent les réflexions
acerbes, les piques que s’adressent mutuellement le couple marié
depuis sept ans, devenu comme chien et chat. On se met à danser.
La mariée se défoule et attise la jalousie de son époux. Sa sœur,
prête à tout pour se caser, ne s’éclipse pas seule. On fatigue et
l’on se rassoit mais un à un les meubles se cassent. Les tables
s’écroulent, les pieds des chaises se décollent, les fesses tutoient
le sol. C’est la catastrophe. La mariée est en larmes : « Demain,
ils sauront tous comment c’était chez nous et ils riront de nous
», se désespère-t-elle. Elle n’est pas au bout de ses peines. Son
« amie » lui décoche une dernière flèche assassine, c’est la honte.
Ils s’en iront tous, éméchés, veules d’avoir voulu paraître sans
y être parvenus. Les mariés resteront seuls, les meubles en miettes,
les reproches à la bouche, la dispute orageuse. Qu’importe ! La
nuit de noce est là pour les rabibocher.
Brecht n’a que 21 ans lorsqu’il écrit cette courte pièce, une pochade
inspirée du travail de son ami Karl Valentin, chansonnier et auteur
comique. Mais derrière l’humour féroce, perce déjà une critique
des mœurs de la petite bourgeoisie qui, avec l’orientation politique,
fera par la suite sa renommée.
L’intérêt de La Noce est ce qu’on en fait. Le travail de
mise en scène d’Isabel Osthues, du scénographe Michael Böhler, de
l’équipe technique et de tous les comédiens est ici époustouflant.
Tout laisse pantois : le décor, les meubles que les comédiens apportent
et transportent entiers mais finissent en morceaux, la dégaine des
personnages et leurs costumes dignes du cinéma muet, le banquet
que n’auraient pas renié Fellini ou Marco Ferreri, les galipettes
de la troupe qui chante, danse, se bagarre, et tombe, ne prenant
jamais le temps de souffler, aiguillonnée par une mise en scène
échevelée, d’une drôlerie de tous les instants. Théâtre du Vieux-Colombier
6e.
Retour
à l'index des pièces de théâtre
Fermez
cette fenêtre ou mettez-la en réduction pour revenir
à « Spectacles Sélection »
|