LA MUSICA. LA MUSICA DEUXIÈME (1965-1985)
Article
publié dans la Lettre n° 395
du
11 avril 2016
LA MUSICA. LA MUSICA DEUXIÈME (1965-1985) de Marguerite Duras. Mise en scène Anatoli Vassiliev assisté d’Hélène Bensoussan. Scénographie et lumières Anatoli Vassiliev et Philippe Lagrue avec Thierry Hancisse, Florence Viala et Agnès Adam, Hugues Badet, Marion Delplancke.
Elle et Lui se revoient pour la première fois pour la prononciation de leur divorce, trois ans après leur séparation. Ils se retrouvent à Évreux, où ils habitaient en ce temps-là, dans le salon du même hôtel où ils vécurent dans l’attente de la construction de leur maison. Durant la soirée et une partie de la nuit, ils vont entrer dans le souvenir intime de leur vie commune et de ce qui les a séparés. Vingt ans plus tard, Marguerite Duras reprend ce premier récit. Le couple poursuit alors sa conversation jusqu’au bout, jusqu’aux premières lueurs de l’aube.
Sur scène, une accumulation hétéroclite d’objets et de meubles de tous styles semblent matérialiser les ravages d’une séparation. Ils en parlent justement de ces meubles dont ils ne savent que faire. Quelques banalités suivent puis ils s’interrogent : « Pourquoi ne pas nous parler », « Pourquoi nous parler » avant que, Lui, déclare : « je ne sais rien de vous depuis deux ans ». Puis, ensemble, ils laissent éclater un fou rire, signe de leur étonnement: « C’est extraordinaire qu’on puisse parler comme ça », « les derniers mois, c’était l’enfer ». Tout au long de cette soirée, la réceptionniste de l’hôtel, le journal de 20h00 à la télévision, l’arrivée d’un télégramme pour Elle, les appels téléphoniques de leurs compagnons respectifs, matérialisés par un combiné au long fil et la présence, derrière la porte vitrée, des deux interlocuteurs dans toute leur sexualité, viennent interrompre un échange que l’on sent pénible, où les syllabes des mots sont souvent détachées, où les phrases sont la plupart du temps entrecoupées de longs silences, où le noir ponctue régulièrement les scènes.
« Je sais..., dit-il au téléphone lorsque sa lointaine compagne allègue le jugement par défaut, donc l’inutilité d’avoir fait le déplacement. ... Je suis revenu pour la revoir ». Leurs allées et venues incessantes et fébriles, les descentes par l’escalier en colimaçon et les remontées par la trappe du fond marquent la détresse de revenir sur les affres d’une vie commune qui les ont tous deux déchirés.
La Musica, cette petite musique décrite par Marguerite Duras, celle d’une passion douloureusement vécue, est empreinte du constat désespéré d’un couple qui se sépare dans la nuit sans avoir su renouer le fil, un échec dont la tension dramatique est remarquablement exprimée par les deux comédiens.
Ce face à face se répète dans La Musica Deuxième mais il donne le sentiment de ne pas assister au même échange, malgré des dialogues identiques bien que prolongés par d’autres qui dévoilent la vérité. Ici entre en jeu le génie de la mise en scène qui opère un changement complet dans le comportement des personnages. Plus rien dorénavant ne vient interrompre leur entretien. Pas de réceptionniste. C’est Lui qui, gravissant les marches de l’autre escalier, immense celui-ci, décroche le combiné du téléphone pour demander la communication, puis vient s’asseoir presque amoureusement à ses pieds. Ils se sourient, s’activent de concert, poussent le meuble bar, remplissent et remplissent les verres, se servent à boire, fument et parlent vite, très vite, se heurtent violemment, vidant le sac de leur désespoir. Lorsqu’Elle tente de taire l’aveu, il insiste : « Anne-Marie, c’est la dernière fois de notre vie…». Alors elle se souvient avec passion. Alors, il lui répond, désespéré. Nous assistons là à une partition musicale jouée par deux comédiens qui se l’approprient et la vivent pleinement. Les costumes qu’ils revêtent à mesure deviennent entièrement noirs à la fin comme s’ils portaient le deuil définitif de leur amour. La bande son les accompagne sans les envahir tandis que la volière aux pigeons, tout d’abord descendue du haut des cintres par la réceptionniste, puis par Lui, remonte seule. Théâtre du Vieux Colombier 6e.
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