LES MOTS ET LA CHOSE

Article publié dans la Lettre n° 270


LES MOTS ET LA CHOSE de Jean-Claude Carrière. Mise en scène Daniel Bedos avec Jean-Pierre Marielle, Agathe Natanson et au violoncelle Pierre-François Dufour.
Afin d’assurer ses fins de mois, une comédienne s’adonne au doublage de films étrangers à caractère délibérément pornographique. D’un film à l’autre, elle s’ennuie ferme : le vocabulaire qu’on lui soumet pour qualifier « la chose » est, il faut le dire, bien pauvre. Elle décide alors de s’en ouvrir par écrit à un ancien professeur, très érudit. Peut-être aura-il quelques idées sur le sujet ! Celui-ci, très touché par cette lettre qui vient rompre la monotonie de ses vieux jours, y répond avec célérité, proposant au passage à cette correspondante tombée du ciel, un vocabulaire plus fleuri. De missives en missives, un dialogue à la fois charmant et coquin s’instaure. « Le chevalier des dards et des lettres » fait de son mieux pour éclairer la jeune femme. Il écrit, expose, cite, qualifie et commente. La comédienne lit, s’étonne, se divertit, commente à son tour et répond, provoquant de nouvelles réponses. « La chose» est cliniquement observée et qualifiée dans tous ses états selon les époques, les régions, les pays et les écrivains.
Le décor est bien planté. Au fond de la scène, des phrases sont jetées sur un panneau, d’une écriture rapide et nerveuse, comme si celui qui les avait tracées s’était pressé pour ne rien perdre de son inspiration. Un nom célèbre et une date « Marquis de Sade, 1730 » achèvent de mettre dans l’ambiance. Au centre un violoncelliste chevronné. Sur le devant, le vieux pupitre occupé par le maître fait face au banc de square où la jeune femme est assise. «Faire l’amour », l’expression a beaucoup inspiré Jean-Claude Carrière qui trousse d’un jet un bien joli bijou de famille ! Il faut dire qu’entre les expressions « faire la bête à deux dos » de Rabelais, «faire catleya» de Proust, et les plus contemporains et populaires « faire la secousse» ou « mettre Villejuif dans Pontoise », les siècles ont passé, marqués par l’évolution de la langue et des mœurs, selon les différentes classes sociales ou les différentes corporations. Avec une verve étonnante, Jean-Claude Carrière passe de l’acte aux organes du désir, le « sadinet » de Sade rivalisant avec « la flambante chandelle» de Ronsard ! L’extase referme le volet et montre que, dans ce domaine, notre belle langue française est inépuisable.
Jean-Pierre Marielle, depuis 2004, et Agathe Natanson, plus récemment, en tournée avec lui, se délectent de cette fantaisie piquante, se renvoient la balle avec un amusement évident et une espièglerie de gamins tandis que Pierre-François Dufour ponctue chaque échange de son archet, avec un talent très apprécié du public. « Il en est des mots comme des vieilles demeures, ils disparaissent ». Jean-Claude Carrière les cite ou les exhume, les faisant vivre ou revivre avec humour et légèreté, grâce à une mise en scène pleine de fantaisie. Théâtre de l’Oeuvre 9e.


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