MOÏSE,
DALIDA ET MOI
Article
publié dans la Lettre n° 300
MOÏSE, DALIDA ET MOI de et avec Isabelle
de Botton. Mise en scène Michèle Bernier.
Robe rouge, chevelure de lionne, Isabelle s’affaire dans sa cuisine
tout en apostrophant son père. Elle pétrit une pâte pour en faire
la gourmandise préférée de ce dernier, espérant ainsi l’amadouer.
Nous pourrions le croire « seulement passé, dans la pièce à côté
». Il l’est en quelque sorte, mais à la Charles Péguy. Sa
mère aussi d’ailleurs. Ils l’ont tous les deux laissée avec bien
des questions et une par-dessus tout : « Papa, que s’est-il passé
le 2 novembre 1956 ? ». A cette époque, Isabelle a quatre ans. Née
en Egypte, elle vit à Alexandrie avec ses parents et ses frères.
Un soir, un policier est venu et a emmené son père. Alors aujourd’hui,
tout en pétrissant sa pâte, elle redevient la petite fille qu’elle
fut et demande qu’ils lui expliquent pourquoi, ce jour-là, Nasser
a fait arrêter sept cents personnes, dont son père. Il est mort
trente ans plus tard sans jamais rien expliquer. « Mon père m’aimait
bien sûr, mais sans me voir. A force, je me suis découragée ». Alors
aujourd’hui, elle a le courage de lui demander des comptes. Mais
sous ce prétexte, elle prépare aussi ces gâteaux pour se souvenir
des jours anciens, de cette enfance heureuse à Alexandrie, puis
du grand départ, à huit ans, vers l’exil : la France.
Difficile de raconter sans s’égarer la richesse de cette famille
aux origines diverses qui a fait d’Isabelle ce qu’elle est aujourd’hui,
une femme équilibrée, ayant su tirer un formidable parti de deux
cultures si différentes que sont celles de l’Orient et de l’Occident.
A la fois enjouée, drôle, sérieuse, émouvante, elle raconte merveilleusement
son enfance mais aussi celle de sa mère d’origine syrienne, élevée
à Londres, suivant ses parents en Italie, puis pensionnaire à Paris
d’où elle repart dotée d’une première partie de bac bien suffisante,
selon son père, pour une jeune fille qu’il va marier en Egypte à
Joseph de Botton. Originale, cette mère qui lui lègue un livre de
cuisine pour le moins surprenant, où les vers de Ronsard, Molière,
La Fontaine ou Rostand se cachent derrière la blanquette aux pruneaux
ou la tartelette amandine, seuls rescapés d’une éducation inachevée.
Original, ce père juif égyptien, devenu parisien, qu’Isabelle découvre
tout à coup « pratiquant allégé » et apatride et qui, chaque 2 novembre
prend soin de ne jamais passer la nuit chez lui. Isabelle fait,
elle aussi, l’apprentissage de l’exil à Paris. Elle se découvre
des notions d’histoire de France en pointillés, les pages des manuels
ayant été censurés par Nasser et se rend à l’évidence : ses ancêtres
les gaulois ne mangeaient pas de la poule au pot, et depuis les
pyramides, Napoléon ne contemplait pas Moscou ! Elle s’habitue à
la langue, cesse de demander une gazeuse avec un chalumeau mais
une limonade avec une paille, renonce vite à la bonne éducation
de refuser cinq fois un met à un dîner, sous peine de rentrer chez
elle affamée. Elle s’étonne néanmoins des remarques pour le moins
saisissantes de sa maîtresse mais est toute à l’ivresse d’aller
chercher le pain à la boulangerie du coin, même si l’aventure lui
réserve quelques surprises.
« Je ne remercierai jamais assez Jean Destin, Colette Hasard et
Albert Chance de m’avoir fait rencontrer Isabelle de Botton » confie
Michèle Bernier. Cette petite phrase, Isabelle peut elle aussi la
lui renvoyer car Michèle Bernier lui offre sur un plateau d’argent
une mise en scène en or, la rendant actrice de sa vie à chaque seconde,
faisant revivre ces années passées comme si nous y étions. Le réalisme
fluide de la mise en scène est aussi dû à l’efficacité des lumières
qui marquent les différents lieux, à celle du son qui suggère le
clapotis des vagues ou l’appel rauque du paquebot qui les emmène
elle et les siens vers la France, avec le sentiment d’emporter avec
eux d’Egypte ce qui reste de l’Occident. Les gâteaux qu’offre Isabelle
à la fin renferment l’odeur de la fleur d’oranger, mêlée dans son
esprit à celle du jasmin et des épices. Ne dit-on pas souvent que
les odeurs les plus anciennes se cachent pour toujours dans la mémoire
et que nous sommes à chaque instant à la merci de leur souvenir,
à la moindre exhalaison? Studio des Champs-Elysées 8e.
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