MOINS
2
Article
publié dans la Lettre n° 246
MOINS 2 de Samuel Benchetrit. Mise
en scène Samuel Benchetrit avec Jean-Louis Trintignant, Roger Dumas,
Valérie Crouzet, Manuel Durand.
Au service de réanimation de l’hôpital, deux septuagénaires Paul
Blanchet et Jules Tourtin, sont voisins de lit. Un médecin survient.
Radios et dossiers en mains, il leur annonce sans ménagement une
espérance de vie de quinze jours pour l’un et de huit pour l’autre.
Le compte à rebours a commencé. Mais lors de leur passage parmi
les hommes qu’auront-ils été, qu’auront–t-ils fait, que laisseront-ils,
qui les regrettera? Paul Blanchot est seul, Jules Tourtin se croit
plus chanceux. Ancien vendeur de télévisions chez Darty, il est
marié et père de deux enfants et s’il n’a guère de visites en ce
moment, précise-t-il, c’est à cause du Tour de France qui passionne
sa petite famille. Alors qu’ils se connaissent à peine, Paul propose
à Jules de «s’éloigner», de s’échapper de cet endroit où ils n’ont
plus rien à espérer. Un drôle de type ce Paul qui confiera plus
tard à son copain d’infortune qu’il a autrefois déserté le foyer,
l’angoisse au ventre, laissant sa jeune femme enceinte. Lorsqu’il
est revenu, elle avait disparu. Il n’a jamais su si elle attendait
un garçon ou une fille. Jules se décide à le suivre, pas très convaincu.
Deux vieux en pyjamas, sur le bord de la route en pleine nuit le
pouce levé, personne ne s’arrêtera pour les prendre en stop. Relié
à son goutte-à-goutte sur roulettes, Jules a froid malgré la saison.
Paul lui fait remarquer que, contrairement à ce qu’il croit, juillet
est loin, novembre vient de pointer son nez. Survient alors une
jeune femme très enceinte. Le père de son enfant vient de l’abandonner.
Elle aussi fait du stop pour gagner la maternité. Chemin faisant,
à cause de cette jeune femme, une amitié naît entre les deux hommes
sans doute parce qu’ils savent qu’ils n’ont rien à attendre de l’autre
et que la mort est au tournant du chemin.
Samuel Benchetrit fait partie des rares auteurs qui savent conter
des choses graves avec légèreté. Dans Comédie sur un quai de
gare (Lettre 182), il s’attachait aux relations entre
un père et sa fille, rôles interprétés par Jean-Louis et Marie Trintignant.
Dans Moins 2, ce très jeune auteur a déjà une grande expérience
de la vie. Il croque ici le moment le plus angoissant de l’existence,
celui qui précède la mort annoncée. Nous retrouvons dans les deux
pièces la même conception scénique, un décor très simple où seuls
sont admis les accessoires indispensables pour suggérer les lieux
et l’action. Un décor dépouillé qui met d’autant plus en relief
la fragilité des personnages. Nous retrouvons aussi l’écriture maîtrisée
et sans apprêt d’un auteur sensible et délicat, qui se dédramatise
de scène en scène, grâce à l’humour et à la dérision empreintes
d’une certaine mélancolie et de beaucoup d’émotion.
Le choix de Roger Dumas et de Jean-Louis Trintignant, amis de longue
date, apporte une grande complicité et leur propre philosophie de
la vie à deux rôles très différents. La grande réussite de la pièce
se tient là, dans ce lien entre eux-mêmes et celui de leur personnage.
Il les rend crédibles, leur permet de garder le ton juste et de
transmettre l’émotion. Fort bien accompagnés par Valérie Crouzet
et Manuel Durant, ils font merveille grâce à un auteur qui sait
offrir à ses comédiens une grande liberté d’interprétation. Une
œuvre aussi intense que le drame qui lia un jour Samuel Benchetrit
à Jean-Louis Trintignant.Théâtre Hébertot 17e.
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