MOI, CARAVAGE
Article
publié exclusivement sur Interrnet avec la Lettre
n° 355
du
27 mai 2013
MOI, CARAVAGE d'après Dominique Fernandez.
Adaptation Cesare Capitani. Mise en scène Stanislas Grassian avec
Cesare Capitani et Laetitia Favart (chant).
Du précipice d'une existence en quête d'amour, de cette course
à l'abîme, le génie de Caravage fera la matière sensuelle et
érotique d'une œuvre semblable à nulle autre. Violent et voyou,
il le restera jusqu'à en mourir crapuleusement, comme dans un roman
de pinceau et de poignard. Michelangelo Merisi, dit le Caravage,
est le contre-exemple d'une société du mensonge et de l'hypocrisie,
de la censure et du bon ton. Et c'est le clair-obscur, marque de
son originalité et de sa célébrité, qui dominera désormais sa vie
rebelle. Tout y est passion, révolte et refus. Refus des conformismes
sexuels, des conventions picturales. Il ne veut pas de silence
dans sa peinture. Du bruit, de la fureur, de la transgression
jusqu'à braver les interdits les plus absolus, au risque de la prison
et de la mort. Il vit des amours honnies, pactise avec les dames
de faible vertu, peint le réel dans sa nudité la plus crue. Dans
son cheminement hanté par la putréfaction, tels ces vers dodus qui
rongent la splendeur des fruits, il croise la jalousie des amants,
la bienveillance de quelques grands de l'Eglise et la menace de
l'Inquisition, la vindicte sans rémission d'ennemis irréductibles.
Mais comment se soumettre quand, à la pureté virginale, on préfère
la pécheresse Marie-Madeleine, quand les parias prêtent leurs visages
à la figure des saints, quand toute velléité de respectabilité s'escamoterait,
comme malgré elle, derrière la volonté de vérité ? Caravage, c'est
une lame de lumière, qui décapite Holopherne, Gorgone ou
Goliath, qui transperce les ténèbres, qui aveugle les frigides contemporains,
qui donne à voir sans fard ni voile l'évidence des corps. Ni la
fuite ni l'exil ne le sauveront de la damnation et de la mort.
A cet éternel Goliath trop géant pour son temps, il fallait un interprète
enthousiaste au sens propre, saisi de fureur quasi divine. Dans
le clair-obscur auquel contribue la lueur troublante des bougies,
Cesare Capitani donne à Caravage chair, voix, soufre et tumulte,
douleur et folie. Il a l'ambiguïté bouleversante des violents si
fragiles, en quête de tendresse et de reconnaissance. En contrepoint
à ce volcan en fusion, Laetitia Favart campe les diverses figures
qui l'accompagnent, tout en modulant a capella le lamento lancinant
et évocateur de Monteverdi, Lasciatemi morire. Et, dans cette
voix sensuelle, qui ne retrouverait aussi les dissonances tragiques
de son exact contemporain, le sublime Gesualdo, meurtrier et musicien
? L'obscurité se referme sur le visage grimaçant, halluciné, du
décapité vaincu. Mais, à nos yeux fascinés, Caravage sort définitivement
vainqueur… Théâtre de la Gaîté Montparnasse 14e. A.D.
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