LA MERE CONFIDENTE

Article publié dans la Lettre n° 187

LA MERE CONFIDENTE de Marivaux. Mise en scène Sandrine Anglade avec Claire Vernet, Claudie Guillot, Alexandre Pavloff, Christian Gonon, Guillaume Gallienne, Emilie Lafarge.
Créée en 1735, cette pièce suit l’Ecole des mères et est consacrée aux premiers émois de la jeunesse, à la toute première rencontre amoureuse avec ses effets et ses conséquences dans l’esprit d’une très jeune fille, élevée à la campagne, dans l’amour et la tendresse d’une mère attentive. Marivaux plantait souvent le décor de ses œuvres à la campagne, là où le caractère de l’homme se retrouve, si près de la nature, loin des bruits et des mœurs pernicieuses de la capitale. Au cours d’une promenade dans la forêt, Angélique, tout juste sortie de l’adolescence, enfant unique de parents bourgeois et fortunés, rencontre Dorante, un jeune homme bien fait, honnête garçon de bonne famille mais cadet, donc sans fortune, avec pour toute espérance la succession d’un oncle presque aussi jeune que lui et dont une union ôterait lesdites espérances. Angélique, face à ce premier amour qui entre dans son cœur comme la foudre, est troublée. Elle doit faire la part des choses entre la raison et la sagesse personnifiées par une mère qu’elle aime et estime, et qu’elle se refuse à trahir, et les paroles pleines de tentation de Lisette, sa suivante, jeune personne pas tout à fait désintéressée. Dorante, fou d’amour, ne songe qu’à épouser Angélique mais il se sait sans fortune et apprend que madame Argante a conçu pour sa fille un projet de mariage. Il presse donc la jeune fille de s’enfuir avec lui. Angélique devra faire elle-même le choix de son avenir en tenant compte de ses sentiments mais aussi des préceptes de son éducation.
Dès les premières répliques, Marivaux donne le ton de sa pièce. Le thème de l’éducation qu’il va développer écarte d’emblée le personnage classique de la mère tyrannique que l’on retrouve dans l’Ecole des mères, ou ambitieuses, dans Les fausses confidences. Ici, les relations mère-fille sont basées sur la franchise, la confiance et la liberté de parole. Madame Argante sait être confidente. Les paroles tentatrices de Lisette seront donc soupesées tout comme les délices de l’aventure offertes par Dorante. Angélique est éprise certes, mais l’honnêteté vis-à-vis de sa mère occupe toutes ses pensées. Face à ces personnages, Ergaste, prétendant officiel d’Angélique, venu demander sa main, reste dans l’ombre, mystérieux jusqu’au dernier moment, pour conclure comme un feu d’artifice la démonstration très psychologique de l’auteur, dont les idées seront reprises plus tard par Rousseau dans l’Emile, pédagogie en avance sur son temps, basée sur la raison mais aussi sur le bonheur.
Marivaux fait partie de ces auteurs classiques dont les œuvres ont traversé les siècles toujours aussi actuelles. L’observation des âmes, la dissection des cœurs, l’analyse des sentiments ont un écho tout à fait moderne. Sandrine Anglade est un très jeune metteur en scène dont le travail a été jusqu’ici davantage porté sur l’opéra. Sa jeunesse, comme celle de la plupart des comédiens et de l’équipe qui l’assistent pour monter cette pièce, est un atout, car elle est le vecteur du ton résolument donné, celui de la fraîcheur. Celle de l’ingénieux décor unique de la forêt, élaboré par Jacques Gabel, à la fois charmant et ravissant, est une source inépuisable tant pour l’évolution du dialogue que pour les jeux de scène. Celle des comédiens ensuite: Emilie Lafarge, (Angélique), Alexandre Pavloff, (Dorante), Claudine Guillot, (Lisette), Guillaume Gallienne, (Lubin), confèrent à cette pièce l'ingénuité et la spontanéité indispensables pour mettre en relief tout le travail psychologique de l’auteur. Christian Gonon, Ergaste philanthrope, apporte avec talent la touche de bonté et de mystère qui l’enveloppe. Claire Vernet dont le jeu solide et sobre sert à merveille cette mère confidente qu’une Françoise Dolto n’aurait pas fustigée. Un remarquable travail. Théâtre du Vieux Colombier 6e (01.44.39.87.00). Lien: www.comedie-francaise.fr

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