LE
MENTEUR
Article
publié dans la Lettre n° 235
LE MENTEUR de Pierre Corneille. Mise
en scène Jean-Louis Benoit avec Isabelle Gardien, Bruno Raffaelli,
Denis Podalydès, Laurent d’Olce, Laurent Natrella, Michel Vuillermoz,
Elsa Lepoivre, Laure Calamy, Margot Faure, Sébastien Raymond.
Tout juste diplômé en droit de la bonne ville de Poitiers, Dorante
rentre à Paris. A lui la capitale, ses fastes, ses lumières et ses
jolies femmes! A peine arrivé, il se rend aux Tuileries, accompagné
de son valet Cliton. Il y rencontre Clarice et Lucrèce. Dès l’instant,
il s’éprend de Clarice mais, faute d’une explication claire de Cliton,
il se méprend sur le prénom et croit être épris de Lucrèce. Sa rencontre
avec deux amis, Philiste et Alcippe, amant de Clarice, le pousse
à s’inventer un rôle de séducteur pour se mettre en valeur. Mais
cette propension à déguiser la vérité va engendrer d’autres mensonges,
le plongeant dans des explications de plus en plus obscures sous
le regard effaré de son valet. Si les enfants se jouent la comédie
de l’amour, les parents ne songent qu’à les marier. Géronte, le
père de Dorante, lui annonce son intention de demander pour lui
la main de Clarice. Le jeune homme continuant de se méprendre sur
les prénoms, s’invente un mariage secret afin de se dégager de ce
dessein. Mais qui croyait prendre sera pris. Après bien des retournements
de situation et une dernière pirouette, il épousera Lucrèce. Jeune,
inconscient et beau parleur, Dorante invente pour embellir sa vie.
Il ne cherche qu’à s’amuser mais malgré ses mensonges, Corneille
en fait un personnage sympathique qui s’enferre jusqu’au bout pour
l’honneur. Corneille le «sauvera» en écrivant La suite du menteur,
lui permettant de fuir en emportant la dot!
Tout comme pour Le Cid, Corneille a trouvé dans le théâtre
espagnol les sources du Menteur, prenant pour modèle La Vérité
suspecte de Juan Ruiz Alarcón. Bien que restant une comédie,
on retrouve d’ailleurs dans les vers du Menteur des accents pathétiques
de certaines tirades du Cid. Est-ce Géronte ou Don Diègue
qui s’exclame: «Ô vieillesse facile! ô jeunesse impudente! Ô de
mes cheveux gris honte trop évidente! Est-il dessous le ciel père
plus malheureux? Est-il affront plus grand pour un coeur généreux»?
Nous sommes en 1642. Les règles strictes des unités et de la versification
l’obligent à réduire l’intrigue très élaborée de la pièce d’Alarcón
au profit de la peinture des caractères. Cependant, en mettant en
relief l’étude d’un travers humain, Corneille crée avec Le Menteur
un thème nouveau, l’analyse d’un défaut, qui sera par la suite exploité
par Molière dans ses comédies de caractère. Ce dernier aurait d’ailleurs
avoué à Boileau: « Sans Le Menteur, j’aurais peut-être fait
quelques pièces d’intrigue, L’Etourdi ou Le Dépit amoureux;
mais peut-être n’aurais-je jamais fait Le Misanthrope ».
Même si l’auteur n’en était pas pleinement satisfait, cette oeuvre
a pourtant remporté un inaltérable succès au cours des siècles.
Jean-Louis Benoit la met en scène aujourd’hui, prenant le parti
de cette légèreté qui lui sied si bien. C’est une formidable réussite
tant dans l’esthétisme du décor et des costumes que dans l’excellence
de l'interprétation des comédiens. Mais de ce spectacle éblouissant,
c’est bien la légèreté que l’on retient, l’envolée des alexandrins
enveloppés dans le charme sans égal d’une mise en scène aérienne.
Comédie Française 1er (08.25.10.16.80) en alternance jusqu’au
10 février 2005. Lien : www.comedie-francaise.fr.
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