MENSONGES D’ÉTATS
Article
publié dans la Lettre n° 358
du
7 octobre 2013
MENSONGES D’ÉTATS de Xavier Daugreilh.
Mise en scène Nicolas Briançon avec Samuel Le Bihan, Marie-Josée
Croze, Michael Cohen, Jean-Pierre Malo, Bernard Malaka, Aurélien
Wilk, Pierre-Alain Leleu, Éric Prat.
Londres, janvier1944. Alors que le débarquement en Normandie se
prépare et que les allemands le savent mais en ignorent le lieu
et la date, le Colonel Bannerman, chef de la London Controlling
Section et son équipe, organise l’un des plus grands « mensonges
d’états », l’opération Fortitude. Cette incroyable machination,
fomentée par les services secrets britanniques et exécutée par les
alliés anglais et américains, consiste à faire croire au Führer
que le débarquement du 6 juin n’est qu’une diversion afin d’organiser
le véritable débarquement prévu un mois plus tard, fort d’une armée
d’un million d’hommes, commandée par le Général Patton. Pour mener
à bien cette mystification, les alliés doivent faire croire à l’ennemi
que ce débarquement aura lieu dans le Pas-de-Calais afin d’éloigner
les troupes allemandes du Cotentin. Tout est bon pour faire gober
l’une des plus grandes ruses de l’histoire. Création de fausses
installations militaires, d’une armée fantôme, la Fusag, sous le
« commandement » de Patton, leurre parfait, échanges radio fictifs,
manipulation des groupes de résistance, utilisation d’agents doubles,
raids aériens mortifères sciemment programmés. Le sacrifice de bien
des hommes sera la cheville ouvrière du succès de l’opération.
« L’opération Fortitude est une pièce de théâtre grandeur nature
qui se joue sur la scène du monde et qui implique des millions de
protagonistes à leur insu ». Xavier Daugreilh, qui a travaillé à
partir de la documentation historique recueillie par Olivier Malavergne,
illustre brillamment cette réflexion d’Olivier Celik (Avant-scène
théâtre). La pièce est véritablement le théâtre de ces événements,
relatant avec clarté et précision le brain storming retors
des protagonistes. Nicolas Briançon, très inspiré, traite la pièce
comme une sorte de thriller historique haletant jusqu’au dernier
rebondissement. Les décors donnent une idée juste des lieux, le
bureau du Colonel Bannerman, Q.G très militaire dans un Londres
bombardé, où s’ourdit et se parfait la manœuvre, et celui du général
allemand Von Roenne à Paris. Les dialogues soulignent l’ambiance
délétère qui régna durant cette période. Les personnages, aux noms
fictifs ou réels, acceptent leur participation sans broncher afin
de converger vers un même but. Tout comme le Général Patton qui
joua à contrecœur son rôle de leurre, les britanniques Bannerman,
son adjoint Whitley et l’américain Banks mettent en veilleuse leurs
rivalités anglaises et américaines, les deux premiers n’hésitant
pas, à la fin, à mystifier le troisième. La jeune Anasztázia Bàlint,
agent hongrois travaillant pour la LCS, n’est pas la seule à jouer
au jeu périlleux de l’agent double sous le pseudonyme de Garbo,
nom de guerre du véritable espion.
Émaillés de réflexions peu amènes sur les alliés français, les dialogues
laissent également transparaître le climat de suspicion dans lequel
évolua de Gaulle, tenu bien évidemment à l’écart de l’opération!
Les comédiens, en dépit de leur nombre restreint, rendent de par
leur consistance les propos tout à fait plausibles et campent sans
manichéisme des personnages dépourvus de tout état d’âme. Même si
la mystification de Fortitude ne semble pas avoir d’équivalent à
ce jour par son ampleur, l’histoire témoigne que, depuis la nuit
des temps, la ruse a toujours été le nerf de toutes guerres. Auteur,
metteur en scène et comédiens en donnent un bel exemple. Théâtre
de la Madeleine 8e. Pour
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