MEIN
KAMPF (farce)
Article
publié dans la Lettre n° 223
MEIN KAMPF (farce) de George Tabori.
Texte français Armando Llamas. Mise en scène Agathe Alexis avec
John Arnold, Pierre Barrat, Bruno Buffoli, Philippe Hottier, Joséphine
Derenne, Sarah Karbasnikoff, Olivier Peigné, Stéphane Schleininger,
Caroline. Shlomo et Dieu conversent.
Comment va le monde dans cette bonne ville de Vienne? Les bibles
se vendent-elles bien? Les ventes du Kama Sutra se maintiennent-elles?
Le jeu routinier de Shlomo Herzl et de son vieil ami le cuisinier
Lobkowitz est interrompu par l’irruption d’un jeune provincial mal
dégrossi, mal poli et sans le sou. L’étudiant rustaud aux longues
moustaches démodées est perdu dans Vienne. Il trouve refuge dans
l’asile de nuit qui est le royaume de Shlomo. Adolf peint des croûtes.
Il veut entrer à l’Académie des Beaux Arts. Ah! si le jury de l’Académie
avait eu moins de goût artistique, la face du monde en eut été changée.
Ce refus n’arrange pas le caractère d’Adolf qui cache péniblement
des blessures enfantines. Shlomo croit en l’homme, il écrit un grand
livre Mon combat, une oeuvre humanitaire et philosophique.
Certainement quelques pages sont consacrées à l’adorable gretchen
qu’il lutine et à leur poule Mitzi. Dégoûté par l’injustice, Adolf
trouve refuge auprès de Shlomo qui lui conseille:« Tu es un acteur
exécrable, tu devrais faire de la politique ». Shlomo rase les longues
moustaches qui appartiennent à un dictateur futur et laisse une
petite patte noire au-dessus de la lèvre supérieure et coiffe la
chevelure désordonnée en la lissant. Adolf Hitler a trouvé son look.
Il va faire fureur. Madame Lamort, élégante gantée de vert, reconnaît
en lui un aide de choix. L’heure de Shlomo n’est pas encore venue.
Madame Lamort était passée juste pour une petite visite et remercier
pour toutes ses bontés notre vendeur de bibles nocturne. Que reste-t-il?
Le rire, une farce tragique.
George Tabori est un auteur sans frontières. Sa vie ressemble à
une saga hollywoodienne. Le juif hongrois qui assistera au discours
du 30 janvier 1933 d’Hitler à la chancellerie, dira plus tard: «
Berlin est devenu trop petit pour nous deux ». Il rejoint Londres
puis le Proche Orient et puis Hollywood pour revenir en Allemagne
créer ses oeuvres. Tabori crée Mein Kampf (farce) en 1987
à Vienne en pleine affaire Waldheim. La pièce fait l’effet d’un
coup de poing à l’estomac accompagné d’un uppercut à nos certitudes.
Monter cette pièce est un exercice périlleux surtout en France où
nous aimons les sujets monolithiques, la pièce doit être comique
ou tragique. Le mélange des genres n’est pas dans notre culture
théâtrale. Le théâtre de Tabori s’approche du théâtre élisabéthain
avec ce mélange de la farce la plus débridée au drame le plus profond
qui donne le vertige.
Agathe Alexis a monté la pièce de main de maître, jonglant avec
les différents genres. Elle évite la caricature gratuite et la vulgarité
tant son travail vise au coeur du texte et tend vers la problématique
philosophique de Shlomo. Le texte de Tabori ose tout: des moustaches
de Staline aux jeux de mots, sans oublier les histoires juives.
Chez Tabori, on ne sait jamais si on parle aux Marx Brothers ou
à Karl Marx, si Shlomo pense à Chaplin en rasant Adolf ou au Shylock
de Shakespeare. Pour interpréter cette poésie apocalyptique, Agathe
Alexis a choisi deux comédiens rompus à l’univers shakespearien
et qui ont une complicité scénique. Philippe Hottier est Shlomo.
Le fabulateur né veut croire que les fleurs poussent dans les bas-fonds.
Magnifique dans l’émotion, humble devant la mort, il compose l’humain
le plus utopique de Vienne. Le rôle écrasant d’Adolf Hitler est
composé par John Arnold. Ce comédien rare marque son interprétation
par son exceptionnelle capacité de création et d’invention. Il danse
sur le fil du rasoir pour endosser ce rôle ingrat. Il évite la caricature
grotesque pour jouer une farce cruelle comme une danse de mort exécutée
dans la nef des fous. Impressionnant dans la mutation d’un dictateur
en devenir.
Mein Kampf (farce) est une oeuvre majeure, dérangeante et
indispensable que Agathe Alexis offre à l’interrogation intime de
chacun de nous. Théâtre du Rond-Point 8e (01.44.95.98.00)
jusqu’au 15 février 2004.
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