LA MEGERE APPRIVOISEE

Article publié dans la Lettre n° 279


LA MÉGÈRE APPRIVOISÉE de William Shakespeare. Traduction François-Victor Hugo. Mise en scène et lumières Oskaras Koršunovas. Scénographie Jurate Paulekaite. Musique Gintaras Sodeika avec 19 comédiens dont Michel Favory, Bruno Raffaelli, Alain Lenglet, Françoise Gillard, Jérôme Pouly, Laurent Natrella, Nicolas Lormeau, Roger Mollien, Christian Gonon, Christian Cloarec, Julie Sicard, Loïc Corbery. Comme tous les pères en puissance de filles, Batista est fort désireux de marier les siennes. Mais si Bianca la cadette, est accorte et sage, Catharina l’aînée, est une véritable harpie qui fait fuir tout prétendant. Au grand désespoir de sa cadette, le père reste résolu à ne la marier qu’après s’être débarrassé de l’aînée. Parmi ceux qui se bousculent pour demander la main de Bianca, Hortensio et Gremio, décident d’unir leur rivalité pour trouver coûte que coûte un mari à Catharina. Il faut neutraliser Lucentio qui arrive de Pise pour demander la main de l’élue de leur coeur. Petruchio, quant à lui, arrive de Vérone décidé à faire un riche mariage. Il n’a cure de la réputation de Catharina et fait sa demande auprès de Batista, qui trop heureux, accepte ce gendre inespéré. D’une part, stratagèmes et complots s’échafaudent pour obtenir la main de Bianca, de l’autre, après une noce où il se présente en guenilles, Petruchio emmène Catharina…
Le royaume d’Angleterre régi par sa majesté Élisabeth 1ère, reine de fer, et un mariage avec une femme plus âgée que lui ne sont peut-être pas étrangers à l’élaboration d’une pièce à la verve endiablée, qui se veut particulièrement machiste. C’est dans cette optique que cette œuvre de jeunesse de Shakespeare a toujours été montée, avec les mêmes accents misogynes et par là même réducteurs, qui jalonnent l’œuvre et culminent dans le monologue final de Catharina. Soulignons qu’à son époque, les pièces de Shakespeare étaient traduites selon les canons du goût français et que les finesses de sa langue tout comme l’univers poétique et farcesque de ses œuvres échappaient encore au XIXe siècle. Au cours des reprises, « La mégère apprivoisée » fit l’objet de maints remaniements. C’est ainsi que Sly, le mendiant du prologue devant qui l’on présente la comédie, disparaît progressivement, occultant du même coup l’importance que le dramaturge accordait au théâtre dans le théâtre.
Monter des textes classiques de manière contemporaine est une ligne de conduite déjà observée par Oskaras Koršunovas avec « Le Songe d’une nuit d’été » et « Roméo et Juliette ». Il avait, paraît-il, « inscrit la Vérone de Shakespeare dans le champ de bataille d’une pizzeria cisaillée en deux clans »! A partir d’une traduction du XIXe, il s’attaque aujourd’hui à « La mégère apprivoisée ». Il reprend l’idée du prologue avec Sly mais donne une autre vision des sentiments de Catharina et de Petruchio, accusant à travers cette guerre des sexes, l’étrange attirance entre ces deux personnages. En envisageant cet amour naissant, il en atténue le côté sexiste.Oskaras Koršunovas apporte aussi un sang neuf à la pièce grâce à une mise en scène d’une extravagante originalité. S’il exploite tous les ingrédients utilisés par l’auteur dans ses comédies, la notion du vrai et du faux, le poids de l’apparence, il donne libre cours à son imagination débridée en ce qui concerne les décors et les costumes.Là se situe son coup de génie.Chaque comédien est muni de planches sur lesquelles sont collés ses costumes, à charge pour lui de les utiliser comme un « bouclier », de jouer avec elles selon l’état d’esprit du moment, ayant de cette façon un point de vue sur ce qu’il joue. C’est ainsi que Catharina survient au début tenant une planche « vêtue » d’une armure, un gant posé à l’endroit de son sexe alors qu’elle sera parée d’une somptueuse robe blanche à la fin. On vous laisse découvrir, entre autres trouvailles géniales exécutées par Virginie Merlin, « le bouclier-costume » du maître de musique et celui du professeur de poésie qui participent également au décor ! Chaque rôle, même secondaire, devient du même coup important. Sur la scène où se présente un immense atelier de costumes, vêtements, accessoires, planches et décors s’imbriquent dans un ballet parfait, orchestré par la musique très inspirée de Gintaras Sodeika qui ponctue l’action du début à la fin de façon fantastique. Les comédiens sont fabuleux, chacun empoignant son rôle de façon très physique. Aussi spectaculaire qu’extravagante, cette version débridée devrait réconcilier avec l’oeuvre, les plus féministes! Comédie Française 1er.


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