LE
MEC DE LA TOMBE D'A COTE
Article
publié dans la Lettre n° 305
LE MEC DE LA TOMBE D’À CÔTÉ d’après
le roman de Katarina Mazetti. Adaptation Alain Ganas. Mise en scène
Panchika Velez avec Anne Loiret et Vincent Winterhalter.
Trente-neuf ans et déjà veuve d’un mari biologiste passionné d’ornithologie,
fauché à vélo par un camion. Daphnée vient souvent s’assoire devant
la tombe au cimetière, se recueillir est un bien grand mot, elle
se sentirait mieux si elle ressentait du chagrin. Elle réalise depuis
cinq mois déjà, qu’elle a vécu à côté de cet homme sans jamais savoir
qui il était vraiment. C’est seulement sa présence qui lui manque.
À côté de la tombe d’Hugo, sans ornement ni fleurs, une autre tombe
déborde. « On dirait une pépinière », pense-t-elle. Devant la tombe,
un mec, les mains pleines de terre, un doigt en moins à une main.
Elle l’imagine forestier. Jean est agriculteur, célibataire de 45
ans et pleure sa mère morte d’un cancer. Les deux se jaugent d’un
œil peu amène. Le banc, devant les deux tombes, chacun aimerait
se l’approprier. L’homme de Cromagnon lorgne la béjassse. La critique
est aisée jusqu’au jour où, allez savoir pourquoi, leurs regards
se croisent et chacun ébauche un sourire. Le cœur de l’un et les
ovaires de l’autre se mettent à palpiter. Rien dorénavant ne sera
plus comme avant.
Le délicieux roman éponyme de la suédoise Katarina Mazetti, paru
en 2006, au succès phénoménal, pose une seule question : comment
deux personnes que tout oppose peuvent-elles s’aimer d’amour ? Comment
une bibliothécaire dotée d’un bac +5, lisant Schopenhauer, se passionnant
pour l’opéra et vivant dans un petit appartement confortable et
tout blanc, peut-elle s’amouracher d’un type de quarante ans qui
en fait cinquante, négligé, obnubilé par les vaches et les tracteurs,
lisant Mickey et vivant dans une ferme sans confort, pas très propre,
aux murs placardés de broderies au point de croix ? Les événements
racontés alternativement par l’un et l’autre, permettent au spectateur
d’avoir leurs deux points de vue ponctués par la dérision, la critique,
l’incompréhension, puis par leurs attentes et leurs espoirs. Témoins
de ces réflexions drôles ou émouvantes qui ponctuent chaque rencontre,
il se prend à espérer que cela marche pour ces deux là au nom du
sacro saint amour.
L’adaptation d’Alain Ganas est efficace. Les répliques fusent, pleines
d’humour. Sa description du monde paysan tient cependant plus de
celui du fin fond des Cévennes, style Depardon, qu’à celui de la
Normandie de nos jours et même un citadin peut se demander comment
les mains abîmées par les tâches ingrates et multiples, amplement
décrites, ont pu le soir exécuter de la broderie au point de croix
à raison d’une par semaine ! Cela dit, la mise en scène de Panchika
Velez met parfaitement en valeur les différentes scènes qui ponctuent
les mois de ce ballet amoureux, appuyée par de savants jeux de lumières.
Un grand lit, une table, un fauteuil, une chaise, ces éléments tout
simples du décor suggèrent avec efficacité la multiplicité des lieux.
Anne Loiret est une Daphnée lumineuse, crevette sans apprêt ni maquillage,
certes dépourvue de talons à bouts pointus et de rouge aux ongles.
Elle est d’une belle spontanéité face à Vincent Winterhalter, fermier
plus vrai que nature et bourru à souhait. Ils portent littéralement
sur leurs épaules ce bien joli moment de spectacle. Théâtre du
Petit Saint-Martin 10e.
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