LE
MARIAGE
Article
publié dans la Lettre n° 186
LE MARIAGE de Witold Gombrowicz. Traduction
Koukou Chanska et Georges Sédir. Mise en scène Jacques Rosner avec
Yves Gasc, Christine Fersen, Roland Bertin, Igor Tyczka, Andrzej
Seweryn, Christian Blanc, Pierre Vial, Céline Samie, Laurent d’Olce,
Laurent Rey, Laurent Montel, Jacques Poix-Terrier.
Qui aurait pu imaginer que sous les traits hiératiques de cet employé
de la Banco Polaco à Buenos Aires, se cachait l’un des plus grands
écrivains polonais du siècle? Witlod Gombrowicz embarque en 1939
pour l’Argentine, il est un auteur reconnu, un polémiste redoutable.
La guerre éclate. Il refuse de rentrer en Europe et revendique son
rôle de déserteur. Il écrit Le Mariage en 1947. C’est une pièce
de l’exil. Le personnage principal, Henri, ressemble comme un frère
à l’auteur. Soldat polonais, enrôlé dans l’armée française pendant
la deuxième guerre mondiale, Henri rêve. Un rêve qui tourne au cauchemar.
Il rêve de son pays dévasté, de ses parents maltraités, de sa fiancée
violée. Le rêveur vengeur élève son père à la dignité royale. Le
voici prince. Sous l’influence des ivrognes, il devient un dictateur
et emprisonne tout le monde. Le prince se proclame roi et veut se
conférer à lui-même le sacrement du mariage. Invectivé par un ivrogne
véhément, les limbes du cauchemar se déchirent. L’imprécation réveille
le rêveur: ce cri qu’il entend est le sien.
Witold Gombrowicz n’est pas un auteur facile. Il n’aime pas les
compromis. Dès sa première pièce Yvonne, Princesse de Bourgogne
(mise en scène par Jacques Rosner avec les comédiens français en
1982), il stigmatise l’ordre social et le poids de la tradition
qui étouffent la personnalité. Le Mariage est une oeuvre onirique,
baroque. Henri est un héros perdu dans le monde chaotique des rêves
qu’il ne maîtrise pas. Artifice et réalité se confrontent, ils cheminent
tous vers une déroute générale. Henri est un héros pathétique, que
l’on ne parvient pas à détester totalement, même lorsqu’il devient
un dictateur sans foi ni loi. Bien sûr, Il nous fait penser à son
cousin Hamlet, mais à un Prince qui aurait un royaume en Sicile,
car il a l’étoffe d’un héros pirandellien, jeté dans le doute de
sa propre inconstance. Peut-être rêve-t-il, est-il dans l’étau du
remords de son propre destin d’avoir vécu cette guerre, loin de
son pays? Jacques Rosner, familier de l’oeuvre de Gombrowicz, est
le passeur subtil et généreux d’une oeuvre complexe. Il a choisi
une scénographie épurée, peut-être trop. Le spectateur, oubliant
parfois l’univers onirique dans lequel Henri est propulsé, est ballotté
dans cette tragédie grandiose. Toute la distribution est fantastique.
Le prince sans royaume terrestre est interprété par Andrzej Seweryn.
Prodigieux, alternant le doute et le sarcasme, la certitude et l’inconscience
du somnambule, déambulant sur un fil de soie, au-dessus d’un monde
en feu, il porte cette cérémonie désacralisée sur les cimes d’un
théâtre exigeant. Comédie Française 1er (01.44.58.15.15).
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