LA MALADIE DE LA FAMILLE M.
Article
publié dans la Lettre n° 322
du
7 février 2011
LA MALADIE DE LA FAMILLE M. de Fausto
Paravidino. Traduction Caroline Michel. Mise en scène Fausto Paravidino
avec Christian Blanc Pierre-Louis-Calixte, Marie-Sophie Ferdane,
Benjamin Jungers, Suliane Brahim, Nâzim Boudjenah, Félicien Juttner
et au piano en alternance Denis Chouillet, Vincent Leterme.
Le narrateur se présente comme médecin mutualiste généraliste, plus
simplement médecin de famille ou médecin de campagne, ces deux qualifications
étant les plus appropriées pour décrire son office, à la limite
entre la ville et la campagne. Il est sensé guérir. Il soigne plutôt,
donne des conseils d’ordre universel : « faites une belle promenade »,
« vous devriez pleurer un bon coup ». En un mot, son rôle premier,
comme il le conclut, est avant tout d’écouter ses patients et c’est
ce qu’il fait auprès de la famille M. qu’il soigne depuis son installation.
Curieuse maladie que celle de cette famille-là. La mère est morte
il y a quelque mois. Marta, la fille aînée, vaque aux occupations
du ménage et veille sur son père Luigi qui perd de temps en temps
ses repères. Elle est aussi attentive à sa sœur Maria qui papillonne
et collectionne les avortements et ne sait plus très bien si elle
doit poursuivre sa relation avec Fulvio ou accepter les avances
de Fabrizio, cousin et ami de son amant. Marta veille aussi sur
Gianni, le petit frère, qui passe ses nuits à boire et à se droguer
avant de venir s’écrouler sur son lit. Tournée vers les autres,
elle s’oublie elle-même. La maisonnée, à la lisière des champs et
de la nationale, vit cahin-caha au rythme du temps et des saisons
qui passent, entre les rares conversations, les prises de bec et
les quelques fous rires. Chacun traîne son mal de vivre, heurté
par la disparition de la mère. En mal d’amour, il assure qu’il aime,
mais veut aussi s’assurer qu’il est aimé.
Également spécialiste des maladies tropicales, le médecin a quitté
la région et même son pays, et depuis l’Afrique où il exerce maintenant,
il se souvient de cette famille et de son histoire, au destin tragique,
à l’image de tant d’autres, et songe parfois à ce qu’elle devient.
Mais coincées là sans avenir, à l’instar des trois sœurs de Tchekhov,
il ne reste aux deux sœurs de Fausto Paravidino que le rêve insensé
d’un improbable départ.
Fausto Paravidino, jeune auteur trentenaire, met lui-même en scène
cette histoire soigneusement écrite, au parfum très authentique.
Son argument semble succinct mais l’écrin dans lequel il repose
fait toute la différence. Jamais décor n’a été plus important. La
scénographe Laura Benzi l’a conçu tout en perspective. Un fauteuil
club sur le devant pour le médecin ou le père, un banc sur la place
où se rencontrent Maria, Fluvio et Fabrizio, puis la pièce à vivre
de la famille dont la porte donne sur un vestibule et un couloir
qui s’enfonce vers le cœur du foyer. Une fenêtre, battue par les
éléments, donne le rythme des heures, des jours et des saisons qui
passent. A mesure que se déroule l’histoire, la maisonnée est peu
à peu « rattrapée » par les champs et les arbres qui s’étendent
à perte de vue, statufiés par le froid. Cette petite merveille d’invention
permet à Fausto Paravidino d’y installer « sa » famille et de la
faire vivre pour que le spectateur la regarde vivre aussi. La véracité
du propos est finement rehaussée par le jeu très spontané des comédiens.
Théâtre du Vieux-Colombier 6e.
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